Source BDgest
Ce mercredi 23 avril, les Éditions Dupuis invitaient les amis de la bande
dessinée à fêter les 70 ans de Spirou à l’hôtel Métropole de Bruxelles.
A cette occasion, nous avons eu la chance de pouvoir poser quelques
questions à Émile Bravo sur son étonnant album : Le Journal d’un Ingénu.
Tout d’abord, comment l’album est-il né ? D’où vous est venue cette
idée de décrire les origines de Spirou ? Avez-vous été voir les éditions
Dupuis avec un dossier sous le bras ?
Émile Bravo : Non pas du tout, je suis plutôt assez discret et je ne vais pas chercher le travail. En général, je le fuis même (rires).
Plus sérieusement, ils sont venus me chercher parce que Benoit Fripiat
(ndlr : directeur éditorial adjoint chez Dupuis) appréciait beaucoup ce
que j’avais fait sur la série « Une épatante Aventure de Jules ». Quand le moment est venu, il m’a appelé, on s’est vus et l’idée a germé tout de suite.
L’idée de base de l’album m’est, en fait, apparue très vite car quand
j’étais gamin, je me posais beaucoup de questions sur le personnage de
Spirou. Moi aussi, j’avais, à l’époque, besoin de plus de précisions sur
son origine. Et donc, je me suis dit que ce qui serait intéressant dans
l’écriture d’une aventure de Spirou et de Fantasio, c’était justement
de répondre au gamin que j’étais et de lui apporter des réponses aux
questions qu’il se posait.
Quelles sont ces questions ?
Ces questions se retrouvent sur le quatrième de couverture de l’album.
Ce sont celles qui qui me venaient naturellement lorsque je lisais les
albums de Franquin.
Comment Fantasio et Spirou sont-ils devenus amis ? Comme se fait-il que
Spip parle et pense comme un être humain ? Pourquoi Spirou porte-t-il un
costume de groom ?
…et surtout, la plus importante, comment est-il devenu un héros ?
L’objectif était-il donc de faire un album « zéro », se situant entre
Rob-Vel et Franquin et plus précisément juste avant l’album « Quatre Aventures de Spirou et Fantasio » ? L’album contient d’ailleurs certaines allusions au match contre Poildur.
On pourrait, si on le voulait, le situer un peu avant cette histoire. On
y retrouve, en effet, le personnage du P’tit Louis ainsi que certaines
allusions à la boxe. On peut ainsi comprendre pourquoi Spirou a quelques
rudiments de ce sport lorsque débute l’aventure Spirou sur le Ring.
Mais
le but de cet album était plutôt global, à savoir d’établir un lien
général entre le Spirou de Rob-Vel et celui de Franquin. J’avais, par
exemple, envie de décrire la période entre celle où Spirou est seul et
celle ou il part à l’aventure avec Fantasio. Jijé a inventé ce
personnage secondaire qui arrive dans les aventures de Spirou un peu
comme un cheveu dans la soupe. On ne sait pas d’où il vient, on sait
juste qu’il a une chronique au Moustique et qu’il est ami avec Spirou,
et c’est tout. Jijé n’explique ni les origines de ce personnage, ni
celle de son amitié avec Spirou. Franquin reprendra Fantasio sans donner
plus d’information.
De même pour le fameux Moustic Hotel, les aventures écrites par Rob-Vel
s’y déroulent en grande partie et il disparaît dans les albums de
Franquin. Spip et sa capacité à penser et à commenter l’action (ndlr :
qui se développe à partir de Franquin) font également partie des
éléments que je voulais développer dans mon album.
De plus, entre Rob-Vel et Franquin, on passe également du gag comique
sans envergure à l’aventure avec un grand A. L’album porte également sur
cette transition.
Reprendre un personnage comme Spirou n’est-il pas trop frustrant ? N’y a-t-il pas trop de règles ou de canevas à respecter ?
J’ai eu la chance de pouvoir écrire une histoire sur Spirou dans
laquelle il n’est pas encore le héros que tout le monde connaît et donc à
une époque où il n’était rien. En ce sens, j’avais beaucoup plus de
libertés pour écrire mon histoire. Je pouvais, par exemple, faire
quelque chose de plus intéressant avec le personnage de Spirou. J’ai
toujours trouvé le Spirou de Rob-Vel très lisse. Franquin, par la suite,
l’a étoffé en lui donnant une dimension humaniste mais ça manquait
toujours d’une véritable psychologie.
Faire une aventure de Spirou pour le simple fait de faire une aventure,
ça ne m’intéressait pas. Je souhaitais faire autre chose avec ce
personnage.
Une des originalités du récit est de placer Spirou et Fantasio dans
un environnement très grave, à savoir le début de la seconde guerre
mondiale. En ce sens, on peut faire un parallèle avec la démarche de
Tome et Janry dans Machine qui rêve, qui proposait une intrigue «
plus sérieuse ». Cet album avait essuyé de nombreuses critiques du
lectorat de Spirou. Avez-vous craint des réactions similaires ?
Je n’ai pas lu cet album et donc je ne peux pas me prononcer sur le
parallèle. Mais concernant la réaction de public, je ne me suis pas posé
ce genre de questions.
De plus, le but n’était pas de faire une histoire de Spirou et Fantasio «
plus sérieuse » que les autres. J’ai essayé de créer une histoire assez
facétieuse, en fait. Par l’humour qui se dégage de l’innocence de
Spirou, j’avais plutôt envie de décrire une histoire comique et de
montrer, via le décalage entre les facéties des personnages et les
enjeux en cours, le regard de l’enfant sur le monde des adultes et son
fonctionnement.
La proposition de Spirou pour résoudre le problème du couloir de
Dantzig est un bon exemple de ce regard innocent de l’enfant sur les
problèmes des adultes...
Tout à fait. Avec cette scène, je désirais montrer que le regard simple
d’un enfant peut parfois apporter des solutions à des problèmes
apparemment compliqués. C’est
la résistance des soi-disant adultes qui empêchent l’idée de l’enfant
de se concrétiser. Pour illustrer ce propos, je prends toujours
l’exemple d’Alfred Wegener, l’inventeur de la théorie de la tectonique
des plaques. Il est parti d’une constatation simple, une idée d’enfant, à
savoir que les continents s’emboîtaient entre eux comme un puzzle. Il
suffit de regarder l’Afrique de l’Ouest et l’Amérique du Sud pour s’en
convaincre. De là, son hypothèse que les continents avaient du dériver.
Eh bien, à l’époque (ndlr : 1912), Alfred Wegener a subi de nombreuses
critiques de la part de géologues apparemment reconnus. Il a fallu
attendre longtemps pour voir son intuition confirmée par la communauté
scientifique.
C’est ce qui arrive à Spirou lorsqu’il propose sa solution aux négociateurs allemands et polonais.
Autre originalité du récit : l’épilogue où vous montrez montrez une
facette cachée de Spip. Comment doit-on interpréter cet épisode ?
Ce qu’on apprend dans l’épilogue peut s’expliquer par le traumatisme que
Spip subit en recevant une « conscience » et donc la capacité à
comprendre le monde des hommes. Ce choc est d’autant plus grand qu’il se
retrouve seul : il ne peut pas parler avec les hommes et les autres
écureuils ne le comprennent plus.
Un autre niveau de lecture est que les moments où Spip se met à parler
et à penser se déroulent juste après que Spirou ait bu de l’alcool. De
là, à penser que ce qui arrive à Spip se déroule dans l’imaginaire «
embrumé » de Spirou…
Si on garde le premier niveau de lecture, on peut faire un parallèle avec la situation de Spirou à la fin de l’album ?
Exact. Durant l’album, Spirou va passer de l’enfance/adolescence à l’âge
adulte. Il va, à la fin du récit, comprendre ce qui s’est réellement
passé et donc comprendre la réalité du monde des adultes. Ce traumatisme
va créer le héros que l’on connaît et va expliquer pourquoi il va se «
perdre » dans l’aventure sans plus toucher au « politique » et sans plus
jamais entamer une nouvelle liaison amoureuse. C’était intéressant de
monter que personne ne naît réellement héros mais que ce sont plutôt les
circonstances qui font les héros.
Spirou fait quand même un choix à la fin…
Oui et le bon. Car ce qu’il apprend aurait pu le détruire, le faire
sombrer dans la dépression ou l’alcool, mais il choisit l’aventure.
Un bon choix, en définitive.
Dernière question. Ne serait-il pas opportun maintenant que vous avez
expliqué les raisons qui ont poussé Spirou à devenir un aventurier,
d’écrire un second album sur la prochaine étape de son cheminement, à
savoir sa première réelle aventure ?
C’est la conséquence logique de la fin du Journal d’un Ingénu.
Les éditions Dupuis m’ont déjà approché à ce sujet. C’est une bonne idée
qui prendra un certain temps à se concrétiser. Il faut toujours laisser
du temps aux bonnes idées pour mûrir...
Propos recueillis en avril 2008, par Amaury Legrain
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire