Le Salon du
livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis, qui s’est déroulé
du 26 novembre au 1er décembre dernier (toujours à
Montreuil) a délivré, encore une fois, son lot d’heureuses découvertes
et de prix judicieusement attribués.
Interview du dessinateur Emile Bravo, lauréat du Tam-Tam catégorie BD, pour Ma maman, un joli album où Jean Régnaud raconte son enfance sans sa mère.
Ma maman vient d’être primé au salon de Montreuil. Votre réaction (presque) à chaud ?
Emile Bravo : je suis très content, surtout pour Jean
(Régnaud), auteur de l’histoire. D’un point de vue graphique, j’ai
essayé d’exprimer au mieux ce texte, qui m’a beaucoup ému,
et apparemment ça a fonctionné.
Ma maman se situe entre l’illustration et la bande dessinée, pourquoi ce choix ?
E.B. : la bande dessinée et l’illustration, quand elles
sont bien faites, ne reprennent pas forcément des passages du texte. Là,
l’illustration apporte de la narration graphique, le
récit a d’ailleurs été construit comme ça dès le départ. Jean
visualisait déjà les illustrations, il les a décrites en détail. On
voyait qu’il avait besoin de s’exprimer de façon graphique.
Ensuite, il m’a paru intéressant de mêler illustration pleine page
et bande dessinée quand il y a du dialogue. Parce que la bande dessinée,
selon ma vision, c’est du dialogue !
Dans Ma maman, on se demande quelle est la part de vérité !
Par exemple, la petite fille qui donne des nouvelles imaginaires de la
mère de Jean, le petit garçon, ça aurait pû être
mignon mais c’est monstrueux, non ?
E.B. : oui, mais c’est la réalité, il s’agit d’une œuvre
autobiographique. Tout ne s’est pas passé forcément en même temps. En
fait, Jean a rassemblé tous ses traumatismes pour en
faire une histoire. Il l’a juste un peu romancée pour que
chronologiquement l’histoire tienne sur six mois, mais tout est vrai !
La lecture de Ma maman est très agréable pour un adulte, on
se replonge dans le monde de l’enfance, qu’il soit drôle ou cruel.
Avez-vous travaillé sur une double lecture ou est-ce qu’une
bonne histoire pour enfant, c’est une bonne histoire avant tout ?
E.B. : je dis souvent qu’une bonne histoire pour adulte
doit être lisible par un enfant et inversement. Il faut marier ces
différents degrés de lecture pour qu’un adulte développe
également son interprétation. Et si Ma maman plaît à tout le monde,
c’est parce que l’histoire de Jean est très bien ficelée.
Vous êtes un auteur jeunesse, cette appellation vous convient-elle ?
E.B. : je suis un auteur tout public. J’ai adopté cette
écriture graphique qu’est la bande dessinée pour m’adresser à des
enfants. Mais il ne faut pas s’imaginer que je m’enferme
dans un univers, je parle à tout le monde. Etant un adulte, il faut
que les histoires que j’illustre ou que je crée me plaisent, c’est pour
cela, je pense, que je ne fais pas dans la
mièvrerie.
Vous êtes aussi l’auteur des Epatantes aventures de Jules, de deux albums très drôles dont les héros sont sept ours nain, avez-vous envie de publier des albums uniquement pour
adulte ?
E.B. : si on part de ma définition, je considère que Jules
ou les Ours nains c’est de la bande dessinée pour adulte, parce qu’il y a
un degré de lecture pour adulte.
Oui, cela s’adresse aux enfants et aux adultes, mais publier une bande dessinée uniquement pour adultes, ça vous tente ?
E.B. : mais être adulte, qu’est-ce que c’est ? Je pense que
c’est quand on renoue avec son enfance. Et ce que l’on présente, en
général, comme étant de la bande dessinée pour
adulte (c’est pareil pour le cinéma, pour la littérature), c’est
lorsqu’il y a du sexe et de la violence. Pour moi, ça s’adresse plutôt
aux adolescents ! Des œuvres pour la jeunesse, comme
Tintin par exemple, sont beaucoup plus mûres.
Vous parliez de Tintin, le slogan de 7 à 77 ans semble vous correspondre !
E.B. : oui, ce qui beau dans la bande dessinée, que l’on ne
retrouve pas forcément dans le cinéma ou la littérature, c’est que ça
peut se lire à deux, ça se partage. Une
interactivité se crée, ainsi qu’une complicité intergénérationnelle.
Je trouve ça si fort, et tellement particulier à la bande dessinée, que
je trouve dommage de ne pas l’utiliser.
A propos de votre style graphique, votre premier album, Ivoire, a été publié dans la collection Atomium chez Magic Strip, où vous avez succédé à la fine fleur de la ligne claire
franco-belge : Chaland, Cornillon, Avril, Dupuy & Berberian, assumez-vous cette héritage ?
E.B. : je me souviens avoir lu, étant gamin, le
livre d’entretiens* avec Hergé, mené par Numa Sadoul. Ils y évoquaient
la question de la ligne claire. Pour Hergé, ce n’était
pas du tout un mouvement graphique, mais l’adéquation entre le texte
et l’image. Cela signifie que l’aspect esthétique ne prime pas sur la
lisibilité, la clarté et la fluidité de l’histoire.
L’image est au service du récit, point barre ! Le côté esthétique ne
m’a jamais vraiment préoccupé… Je cherche, bien sûr, l’équilibre dans
mes cases et ne me lancerai pas dans une plongée si
ce n’est pas nécessaire. Je ne me considère pas comme un dessinateur
mais comme un “narrateur graphique”. Ce qui est important avant tout,
c’est l’attitude, le mouvement, le jeu des personnages.
Je parle souvent de théâtre. Les décors sont là simplement pour
étoffer, donner une ambiance, ils faut les évoquer sans trop de détails
car ça peut nuire à la lisibilité. Tout ce qui doit être
dessiné en arrière-plan ne nécessite pas d’être trop appuyé : ce
sont des choses qui sont vues en deuxième ou troisième lecture. A mon
avis, on ne doit pas trop jouer avec ça parce que ça
peut déstabiliser le lecteur. Aujourd’hui, il me semble que beaucoup
de gens ne savent pas lire un dessin, donc il ne faut pas les
perturber.
N’y a-t-il pas, tout de même, à l’origine, une fascination pour Chaland ?
E.B. : oui. Ce qui me paraît intéressant avec Chaland,
c’est l’opposition entre, d’une part, la pureté du trait, ces jolis
pleins et déliés qui font référence aux années 50, début
60, avec ce côté innocent de la bande dessinée de l’époque et,
d’autre part, le propos, très dur. Voilà ce qui me plaisait chez lui,
pas l’aspect esthétique. Je n’ai jamais cherché à l’imiter.
Lui prenait beaucoup de plaisir à réaliser des décors,
fantastiques ; les miens sont basiques. Chaland avait un côté très
graphique, moi, j’épure le plus possible pour servir le
récit.
Vous avez été doublement récompensé pour Ma maman… (Angoulème, Montreuil), pour « votre » Spirou (Le Journal d’un ingénu avec le prix des libraires BD. Est-ce l’année
Emile Bravo ?
E.B. : (rires) je ne sais pas ! Je ne suis pas dupe, je me
rends bien compte que c’est le vecteur Spirou qui porte tout ça. A
partir de là, il faut rester humble. Tant mieux si
ça plait et si ça peut aider à ce que les gens se penchent sur mon
enfant à moi, Les Epatantes aventures de Jules, j’en suis ravi.
Les projets ?
E.B. : je viens de finir un Ours nain qui sort au mois de mars, et je vais attaquer un Jules.
*Tintin et moi, entretiens avec Hergé de Numa Sadoul. Editions Flammarion.
Propos recueillis par Laurent Assuid
Source Point G Magasine
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