Son père s’est battu pour la république, dans la cavalerie, et il lui raconte, tout en relativisant les choses : il n’était pas un héros, il était du bon côté, mais il aurait pu être de l’autre.
Ça fait réfléchir.
Tout gamin, Bravo se met à dessiner sur n’importe quoi, y compris son livret de famille, jusqu’à ce qu’on lui achète du papier. Et puis, son père lui racontant aussi Lucky Luke, Tintin et Popeye, il comprend que la BD est un lien entre lui et le monde adulte.
’’J'ai grandi avec tous les belges. Mon enfance c'est Hergé, Franquin, Peyo, Morris.
De chez moi il y a également eu Gosciny, mais sinon je n'ai grandi qu'avec des auteurs belges. Et je ne savais même pas qu'ils étaient belges, je ne l'ai su que par la suite, en grandissant.
J'ai d'ailleurs une anecdote à ce sujet :
Quand j'étais petit je passais mes vacances en Espagne et je lisais des BD populaires de là-bas, comme Mortadel et Filemon.
Et il y avait notamment Ibanez, un auteur espagnol ultra connu qui a fait pratiquement toutes les BD populaires en Espagne. Il faisait une BD, El botonnes sacarino, qui mettait en scène un personnage habillé en groom. C'était en fait un personnage habillé en Spirou, mais avec la tête de Gaston. Et évidemment ce personnage était fainéant et ne faisait que des conneries.
Cette BD me faisait marrer, mais je n'avais pas fait le rapprochement. Jusqu'à ce que je voie un gag qui est la copie conforme du fameux gag où Gaston et Mademoiselle Jeanne vont au bal costumé, et où la queue de cheval de Jeanne sert à faire celle du costume du cheval.
C'est là que j'ai réalisé que tout le personnage était pompé sur Gaston et Franquin.’’
Il se met donc à créer ses versions personnelles de Popeye et Lucky Luke, et à inventer pour ses copains de classe des aventures qu’il leur fait jouer.
Parmi les copains, un grand de quatorze ans l’introduit dans le monde des sciences :
’’Je raconte souvent que durant ma scolarité, il y a à peu près 5 profs qui m'ont aidé à me construire, qui m'ont apporté des choses et dont les cours étaient agréables à entendre. Le point commun entre ces 5 profs, c'est qu'ils avaient le sens de l'humour et beaucoup de détachement par rapport à ce qu'ils nous apprenaient, du coup ça rentrait mieux.
C'était un vrai bonheur d'assister à leurs cours, car on se marrait et on apprenait énormément de choses.
Je pense que l'humour a toujours été un super vecteur d'apprentissage, surtout en ce qui concerne les sujets les plus graves.’’
En 1983, muni d’un Bac E, il change d’azimut et s’inscrit en Histoire de l’art, pour avoir la réduction étudiant au cinéma. Et en lisant Hugo Pratt, il découvre qu’on peut faire de la BD tout en vivant des aventures fabuleuses.
Lui aussi, il veut une vie d’aventure.
J’allais surtout en vacances en Espagne. " Donc, avec son Bac E et sa carte d’étudiant, il passe un an à bâtir une BD de 70 pages qui raconte l’histoire d’un orphelin allemand à la fin de la guerre. Personne n’en veut, mais Casterman a hésité et ça l’encourage.
Quand il comprend qu'il peut raconter des histoires avec ses dessins, il se lance dans l'écriture dessinée.
A
cette époque (dans les années 1985) il rencontre Steven Jimel et Jean Regnaud à
Bergerac, (Il sortait à l’époque avec la sœur de ce dernier).
Mais c’est avec son vieux complice Jean Regnaud qu'il fait ses premières
armes.
" Pour moi, la BD est liée au monde de l’enfance, et retourner dans l’enfance, ce n’est pas régresser. Régresser, c’est retourner dans l’adolescence, avec ses idées toutes faîtes. "
La série est ensuite éditée en albums chez Dargaud, et connait un faible succès commercial, mais est reconnue par la critique. Éléphant d’or du meilleur album jeunesse à Chambéry pour « L’imparfait du futur ».
Le deuxième tome « La réplique inattendue » lui vaut aussi le Prix René Goscinny en 2001.
En 2003 sort " C’était la guerre mondiale" chez Bréal Jeunesse, déjà précurseur de son intérêt pour la grande histoire.
En 2004, il réalise, "Boucle d'or et les sept ours nains" (Le Seuil jeunesse) récompensé par le prix Bernard Versele en 2006.
En 2005, sort une nouvelle histoire, "La faim des sept ours nains" (Le Seuil jeunesse) récompensé par le prix Jeune Public-Ligue de l'enseignement en 2006 et le Prix des incorruptibles en 2007.
En 2007, il illustre l’histoire autobiographique de Jean Regnaud "Ma maman est en Amérique elle a rencontré Buffalo Bill" (Gallimard Jeunesse,) qui remporte plusieurs prix dont le Prix Essentiel à Angoulême en 2008 et le Prix Jeune Public-Ligue de l'enseignement en 2007
Tentant de rapprocher cette bande dessinée si décriée, de l'édition jeunesse, afin d'élargir son lectorat.
Majoritairement reconnu pour ses séries jeunesse, qu'il continue de faire paraître, Bravo réalise de nombreuses illustrations pour la presse, d'Astrapi à Spirou en passant par Je Bouquine, pour des romans (Le Club des baby-sitters d'Ann M. Martin ou Les Grandes Grandes Vacances de Michel Leydier) ou pour des publications collectives.
C'est en 2008 que son plus vaste projet voit le jour : créer son Spirou.
Pour Dupuis, Émile Bravo dévoile sa vision personnelle de Spirou et Fantasio et tente de donner des réponses à toutes les questions qu'il se posait, enfant : comment un adolescent qui tient les portes dans un hôtel peut-il se révéler et devenir le jeune aventurier que nous connaissons ? A-t-il été amoureux ? D'où vient son amitié indéfectible pour Fantasio ? C'est à ces questions, et quelques autres, qu'Émile Bravo tente de répondre dans "Le Journal d'un ingénu, une aventure de Spirou et Fantasio par Émile Bravo".
En situant son album en 1939, il nous livre l'album fondateur de la série "Spirou et Fantasio", celui qui explique, ou du moins remet en perspective, les albums parus à ce jour. Cette aventure inédite du jeune groom recueille très vite les louanges de la critique et multiplie les récompenses : Prix des libraires, Grand Prix RTL, Prix Diagonale et Prix du meilleur album chez BDGest'Arts en 2008 ; Prix Essentiel à Angoulême, Prix des Cheminots et Prix "Le Peng" de la meilleure BD européenne en 2009 ; Prix littéraire jeunesse en 2010.
En 2011, après 5 ans d'absence, il revient à Jules avec un sixième tome, prépublié pour la première fois dans le ‘’le Journal de Spirou’’. Il conçoit aussi quelques one-shots, et participe à différents projets collectifs.
Une nouvelle pause prolongée s'annonce cependant pour son petit Jules.
Fort de son succès et conscient qu'il n'avait pas tout dit, Émile Bravo se consacre depuis une décennie à la suite de son Journal d'un Ingénu, immergeant Spirou dans la Seconde Guerre mondiale.
Quatre tomes composeront cette longue aventure de 300 pages intitulée L'Espoir malgré tout. Le premier album de cette tétralogie, sous-titré "Un mauvais départ", sort en octobre 2018 en même temps que la réédition du Journal d'un ingénu augmentée d'un récit court : "La Loi du plus fort". Les tomes suivants paraîtront respectivement en 2019 ("Un peu plus loin vers l’horreur") et 2020 ("Un départ vers la fin" et "Une fin et un nouveau départ").
- "L’œuvre parvient à transformer l'espace de la bande dessinée en un lieu mémoriel par excellence." Arte
- "Spirou ou l'espoir malgré tout se dévore du début à la fin, tant sa narration est impeccable." 9ème art
- "À vraiment mettre entre toutes les mains" France Inter
- "Avec son humanisme à fleur de peau, Spirou poursuit son chemin vers la maturité." Le Monde
- "Un formidable album pédagogique." L'Obs
’’Lorsque je parle de scénario, j’évoque ce que d’aucuns appellent un « storyboard ».
Une fois cette étape primordiale passée, je mets tout au propre, ce qui est nettement moins amusant. J’ai l’impression de recopier ma dissertation à l’école ! J’améliore la lisibilité de l’ensemble, je recadre, j’encre au feutre pinceau. ‘’
Sa conception de la BD :
La qualité première d’un album est d’être lisible par quelqu’un qui ne connaît pas la bande dessinée. Il faut donc s’adresser au plus grand nombre.
Personnellement, je ne me considère pas du tout comme un dessinateur. Un vrai dessinateur a ça dans le sang, il sort son carnet de croquis toutes les cinq minutes. Moi, je peux passer des mois sans toucher un crayon.
’’Quand j’étais petit, mon père me lisait des albums d’Astérix, Tintin ou Lucky Luke pour m’endormir.
Le premier épisode d’Une épatante aventure de Jules (Dargaud) racontait la relativité, le deuxième abordait le thème du clonage, le troisième l’histoire de l’humanité, le quatrième la mort… Petit, j’adorais l’aspect ludique des sciences. Je trouve important d’expliquer que l’on gère très mal la planète, que l’on se prend pour le summum de l’évolution alors que nous ne sommes que les prémices d’un agglomérat de cellules. Avec Jules, j’aime aborder tout ce qui peut troubler. Je n’apporte aucune réponse, je me contente de poser des questions avec humour, sans faire la morale. J’utilise un personnage naïf, auquel le jeune lecteur peut facilement s’identifier. Il est candide, comme mon Spirou, mais idiot. Avec cette série, je cherche à faire une bande dessinée fédératrice, qui crée une complicité entre les générations, parle aux enfants mais aussi au gamin qui sommeille dans chaque adulte.
J’ai aussi fait un travail d’illustrateur, de calligraphe en quelque sorte, pour Ma maman est en Amérique, elle a rencontré Buffalo Bill [un album publié par Gallimard, qui met en scène un petit garçon ignorant la mort de sa mère, et qui a reçu cette année un prix Essentiel à Angoulême]. Cette histoire autobiographique de Jean Regnaud m’a beaucoup ému, je ne connaissais pas cet aspect de sa vie.’’
’’Je préfère travailler avec des auteurs et copains, il y a une plus grande émulation.
J'ai compris que la bédé ce n'était pas le graphisme, c'est tout autre chose, c'est l'histoire. Il faut que le dessin se libère pour être réellement au service de l'histoire.
Ensuite, il y a eu une symbiose qui s'est créé au sein de l'Atelier entre ces deux écoles, celle de Joann et la mienne. J'ai un passé cartésien, je viens du technique et chez moi on sent un catholicisme latent, les choses sont judéo-chrétiennes, il faut que ce soit carré. Je lui (Joann) ai vendu le fait de construire une histoire, même s'il ne l'adopte pas du tout, mais mon truc à moi c'est très structuré, rien n'est laissé au hasard, si l'histoire n'est pas finie, je ne me lance pas dans le dessin. Comme je vous le disais ça sort, le dessin est là, ensuite je taille dedans, c'est souvent très fluide, mais dans la structure il faut que ça tombe pile-poil. Ce sont des rouages, des petits mécanismes, il faut que ça fonctionne de la 1e à la dernière case et c'est un travail d'horloger en amont. Mais qui ne m'empêche pas de m'exprimer. En fait dans les dialogues, mon processus de création est assez simple, je me lance, je joue, je me mets en situation, mais dans le fil conducteur de la structure, je fonctionne avec un chemin de fer. Néanmoins le résultat final est le même, soit on le prépare instinctivement dès le départ, soit on le construit. Mais pas laborieusement attention ! Je n'aime pas le travail laborieux. Il faut se faire plaisir avant tout.
En se retrouvant en atelier, chacun avait sa vision, mais finalement tout se complétait. On voulait tous dire la même chose, s'exprimer et communiquer des choses aux gens. Les nouveaux qui arrivent -je pense notamment à Riad Sattouf- étaient coincés dans l'univers sclérosé de la bédé, c'est-à-dire une bédé de commande avec un scénariste-producteur, un style réaliste, des cadrages cinématographiques etc… Riad est la première personne qui a su romancer, raconter son époque, c'est un auteur contemporain qui ne tombe pas dans le consensuel. On sent le chaos de notre société dans les bédés de Riad. Voilà un auteur ! Quelqu'un qui parle de son monde, et qui le connaît bien son monde. Ça a tout de suite collé avec ces gens. Ça s'est fait naturellement.
Marjane a récupéré l'atelier des Vosges (anciennement l'Atelier Nawak ndlr) et voilà aussi un phénomène intéressant.
Aujourd’hui, je suis à La Piscine en compagnie de Marc Boutavant, Delphine Chedru, Christian Aubrun, Manu Boisteau ou encore Nine Antico.’’
Sa technique :
"Je commence par dessiner au crayon bleu, pose les dialogues. J'appelle ça le "fantôme de la création". Puis je crayonne en noir".
"Ensuite, c'est de l'artisanat. Je reporte tout sur un format plus grand avec pinceau-feutre et encre. C'est ce que je montre à l'éditeur".
"Les planches sont alors scannées puis mises en couleur sur ordinateur."
"Après le scan, dernier contrôle. On passe un petit coup de burin sur ordinateur ! Mais il faut savoir s'arrêter. Même si un an après, on voit plein de défauts".
Art Spiegelman, Maus : Intégrale
Yves Chaland, Le Jeune Albert
Travailler en silence : (Source Zoo le mag)
"Puisque nous sommes au Cabaret Vert, parlons musique. Émile Bravo en écoute en travaillant, mais pas toujours. « Pas quand j'écris, j’ai besoin de concentration totale. Pas de bruit, rien ! Ou alors en bruit de fond, mais il ne faut pas que je comprenne les paroles, qu’il y ait des interférences. Mais quand je dessine, oui. J'écoute souvent ce que j'écoutais quand j'étais plus jeune, sinon je mets des radios. Je peux aussi bien écouter de la musique classique ou même du jazz. Pas de l’easy listening. Pas du punk-rock non plus. J’écoute des musiques calmes. C'est important la musique mais je me sens largué par rapport à la scène musicale depuis une dizaine d'années. »
Quand on lui demande à quels concerts il est allé récemment, Bravo a du mal à s’en rappeler, cela fait longtemps. « Je suis en train de chercher. Tu sais, le groupe que tu adorais quand tu étais jeune et quand tu vas le voir, ils ont pris 30 40 ans et c’est hyper-dur ! Donc c’est pour ça que je n’y vais plus ! » Avant de citer Dominique A.
Concernant les concerts du Cabaret Vert : « Bien sûr, après les dédicaces, je suis plongé direct dans le bain, avec la scène Zanzibar ! J’ai un super souvenir en fait du premier que j'ai vu. Ce groupe australien qui s'appelle Amyl and the Sniffers. Après, on a l'impression d'être dans un parc d'attraction : il y a plein de manèges et on ne sait pas où aller ! Car ils jouent en même temps à différents endroits. Et car je suis en dehors de ça depuis un moment. »