Lettre de Joann Sfar, du 30 Janvier 2007 trouvé sur les nouvelles de Joann. (Merci Marcel )
Cher site internet,
Je voulais faire un compte rendu rigolo du festival d’Angoulème.
C’était une édition réjouissante et le président Lewis avait bien fait les choses.
Mes copains avaient beaucoup insisté pour que j’assiste à la remise des prix, en me disant qu’il y aurait une surprise.
Et avant de remettre les trophées officiels, Lewis a expliqué dans
son micro que comme le dernier chat était sorti trop tard pour être dans
la sélection il avait souhaité décerner un prix au
meilleur dessinateur du chat du rabbin de l’année.
On a alors vu défiler sur l’écran, aux côtés de mon vrai album, des
fausses couvertures dessinées par Émile Bravo, David B, Christophe
Blain, Emmanuel Guibert, Mathieu Sapin et Riad Sattouf, je
vous laisse les découvrir. C’est le genre de couillonnades que j’aurais attendu pour un cadeau d’anniversaire. J’aime
bien l’idée que Lewis mobilise toute une salle de conférences pour faire des blagues à ses copains.
Aussi j’étais ravi que Shigeru Mizuki soit distingué, car son livre est une merveille.
Surtout, comme toute la salle, j’ai été ému de voir Didier Lefevre
venir chercher le prix attribué au PHOTOGRAPHE, d’Emmanuel Guibert et
Frederic Lemercier.
Didier Lefevre était plus du genre à applaudir les autres qu’à se
donner en spectacle. Son métier c’était de photographier les gens, de
les faire connaître.
Il regardait ses semblables avec tendresse et intelligence, en
Afghanistan, au Rwanda ou à une table avec nous, parfois il sortait son
appareil et il gardait trace de moments éclairants. Il était
intimidé d’aller chercher son prix mais comme Emmanuel n’était pas
là, Didier a fait un discours impeccable, parce qu’il parlait au nom de
ses amis.
Parce qu’il savait que son album faisait rayonner le travail de ces Médecins Sans Frontières dont il était si fier.
Il savait qu’Emmanuel n’était pas à Angoulème mais il lui parlait
pourtant, à travers le micro. Il lui disait merci pour les trois albums
ensemble. Je crois qu’il était comblé. Parmi des jeunes
gens à qui le président Lewis a dû dire « essayez de sourire » quand
ils ont eu leur prix, la joie de Didier faisait plaisir à voir. Il a eu
un geste de sportif, avant de quitter l’estrade : il a
tenu son trophée à bout de bras, sans arrogance ni triomphalisme,
c’était juste un mouvement de joie. Je crois qu’à l’image d’Emile,
Christophe, Mathieu, Riad et moi, toute la salle était émue de
voir récompensé ce Tintin contemporain, cet aventurier courageux
qu’on admirait tous pour avoir consacré sa vie à aller au bout du monde
chercher des regards fraternels. Oui comme émotion ça nous
aurait suffi.
Ensuite Émile a fait la fête avec Didier.
Et trois jours après nous apprenons que Didier n’est plus là.
La
première fois que j’ai été confronté à la mort et que j’ai été en état
de questionner, je suis allé voir mon rabbin. Je m’attendais
à ce qu’il me dise des mots rassurants et au petit garçon que
j’étais le rabbin en colère a dit « que veux-tu, la mort est un
scandale, tous les jours je m’en plains à l’Eternel, je ne peux rien
faire de plus ». je crois que je lui ai été reconnaissant de cet
aveu d’impuissance. Je voulais raconter cette soirée parce que je crois
que Didier était vraiment heureux d’être là. Je crois que
nous sommes nombreux à penser à lui. Nous sommes nombreux qui
aurions aimé fêter avec lui cette distinction méritée. Ca n’est pas à
moi de parler de Didier car je ne le connaissais pas autant
qu’Emmanuel, je voudrais juste qu’en lisant les albums du
PHOTOGRAPHE les gens se rappellent que le personnage de ce livre était
de chair et de sang. C’était l’ami de mon ami et il méritait tout
l’amour qu’on peut éprouver pour le héros d’une grande aventure. Je
crois que dans certaines vignes on lèvera un verre à la mémoire du
PHOTOGRAPHE. Salut fraternel à sa famille, à ses amis, à ses
anciens compagnons de MSF. Merci à Emmanuel Guibert de nous avoir
fait partager un des voyages de Didier Lefevre.
Joann
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