Entretien réalisé à St Ouen le 11 mai 2011 dans le cadre du festival Formula Bula par
Cloneweb.
J’aimerais commencer par parler de vos projets audio-visuels,
d’une part l’adaptation animée de Ma Maman est en Amérique par Stéphane
Bernasconi et Jean Regnaud et d’autre part la future série télé Les
Grandes Grandes Vacances. [10 épisodes de 26 minutes produite par Les
Armateurs]
Pour l’instant il n’y a pas grand chose, je ne suis pas encore impliqué
parce que j’ai beaucoup de travail. Pour Ma Maman, c’est Regnaud qui
s’en occupe avec Bernasconi, c’est vraiment son histoire. Mais c’est un
projet encore loin d’être terminé, en ce moment ils cherchent toujours
des producteurs. C’est un long-métrage destiné à sortir en salles, c’est
dur à vendre.
Lors d’une présentation du projet à l’occasion du Salon du
livre jeunesse de Montreuil, on avait le sentiment que vous suiviez ça
de loin, que vous donniez surtout votre approbation pour la partie
graphique.
Oui, je n’ai vraiment pas le temps en ce moment avec le travail que
j’ai, donc je me contente de valider ce qu’ils me montrent. Ils veulent
que je m’implique un peu plus et je pense que le ferai. Pour Les Grandes
Grandes Vacances, je ne m’occupe que de la bible graphique. J’ai été
approché par les auteurs du projet, Delphine Maury et Olivier Vinuesa,
j’ai trouvé ça très intéressant, mais là encore c’était une question de
temps. Ils m’ont même proposé de faire un épisode ou deux, sachant que
la Seconde Guerre Mondiale et les enfants, c’est un peu mon dada. Mais
je n’avais pas le temps, donc j’ai juste fait la bible graphique…
D’ailleurs ce n’est pas une bible à proprement parler car je n’ai fait
que la création des personnages et pas les model sheets détaillées.
Là c’est un travail d’illustration pure et dure mais
seriez-vous tenté par l’inverse ? Vous contenter d’écrire un scénario,
pour qu’un autre le mette en images ?
Mais moi, quand j’écris une histoire, je la dessine ! C’est ma méthode
de travail, c’est ce que j’appelle l’écriture BD, l’écriture graphique.
Au lieu d’écrire, je mets en scène des personnages et je les fais jouer.
Et j’ai besoin dès le départ de voir les attitudes et les expressions
de mes personnages. Parce que qu’est-ce que la BD ? Simplement du
dialogue. Et le dialogue, il faut le jouer si on veut qu’il soit bien
dessiné. Donc autant le jouer tout de suite, autant le dessiner tout de
suite, dès la conception de l’histoire.
C’est pour ça que lorsque j’écris une histoire tout est déjà dessiné,
très rapidement, de façon schématique . [Ndr : il existe une édition
spéciale du Journal d'un ingénu réservée aux libraires qui présente
l'histoire sous sa forme ébauchée].
Vous ne partez donc pas avec un script en main pour ensuite
passer au découpage, etc… Comment vous organisez-vous du coup pour vous
donner une échéance ? En se disant par exemple qu’il va falloir
atteindre 48 pages.
Alors moi, je ne fonctionne pas du tout comme ça. Pour moi, c’est de
l’écriture, donc à partir de là on ne demande pas à un écrivain combien
de pages il va faire ! bon, je me suis formaté sur les Jules à 54 pages.
Mais aujourd’hui j’en ai marre. Et quand je faisais Aleksis Strogonov,
c’était libre, il n’y avait pas de pagination fixe. Ça me paraît
évident, je ne peux pas fonctionner comme ça. Pour le prochain Jules, je
dois encore remanier un peu la fin mais l’album fera environ 74 pages.
Parlons un peu de Jules justement. Je suis ravi d’apprendre
qu’il y aura un sixième tome, j’avais l’impression que la série s’était
arrêtée en 2006. Entre temps il y a eu votre Spirou, Journal d’un
ingénu.
Oui mais j’ai fait ce Spirou pour attirer les gens vers Jules par la
suite. C’est une série qui ne marche pas trop mal, elle est toujours en
réassort mais je voulais lui donner un coup de pouce supplémentaire.
Je trouve qu’il y a une rupture entre le premier tome, qui
est très science-fiction et les suivants, qui sont davantage ancrés dans
le quotidien (même s’il y a toujours des éléments fantaisistes).
Il y a toujours un fond de science parce que j’aime bien mettre des
petites choses que les gamins puissent apprendre. J’aime bien parler de
génétique, je trouve que c’est important de savoir comment ça
fonctionne. Après, le point commun entre tous les albums, c’est le côté
humaniste, c’est ce que j’essaie de faire. Et la science sert à ça, à
relativiser, à rabaisser un peu l’ego. Quand on sait ce qu’on est, qu’on
est fait d’atomes, on est bien peu de choses… Et du coup je comprends
pas cet ego humain qui conduit à foutre en l’air la planète. Y a
tellement de cons irresponsables au pouvoir… Nous ne sommes qu’à
l’adolescence de l’humanité et maintenant on a intérêt à changer, sinon
on va droit dans le mur.
En même temps dans Jules, la science n’est pas toute puissante, quand on regarde le personnage de la mère de Janet par exemple…
Oui, elle est un peu tordue. Et oui, personne n’est parfait et même les
sciences ne sont pas une solution absolue. La seule certitude qu’on a,
c’est qu’il faut douter de tout et surtout de soi. Se remettre en
question, c’est la seule clé pour s’en sortir.
Là c’est un travail d’illustration pure et dure mais
seriez-vous tenté par l’inverse ? Vous contenter d’écrire un scénario,
pour qu’un autre le mette en images ?
Mais moi, quand j’écris une histoire, je la dessine ! C’est ma méthode
de travail, c’est ce que j’appelle l’écriture BD, l’écriture graphique.
Au lieu d’écrire, je mets en scène des personnages et je les fais jouer.
Et j’ai besoin dès le départ de voir les attitudes et les expressions
de mes personnages. Parce que qu’est-ce que la BD ? Simplement du
dialogue. Et le dialogue, il faut le jouer si on veut qu’il soit bien
dessiné. Donc autant le jouer tout de suite, autant le dessiner tout de
suite, dès la conception de l’histoire.
C’est pour ça que lorsque j’écris une histoire tout est déjà dessiné,
très rapidement, de façon schématique . [Ndr : il existe une édition
spéciale du Journal d'un ingénu réservée aux libraires qui présente
l'histoire sous sa forme ébauchée].
Vous ne partez donc pas avec un script en main pour ensuite
passer au découpage, etc… Comment vous organisez-vous du coup pour vous
donner une échéance ? En se disant par exemple qu’il va falloir
atteindre 48 pages.
Alors moi, je ne fonctionne pas du tout comme ça. Pour moi, c’est de
l’écriture, donc à partir de là on ne demande pas à un écrivain combien
de pages il va faire ! bon, je me suis formaté sur les Jules à 54 pages.
Mais aujourd’hui j’en ai marre. Et quand je faisais Aleksis Strogonov,
c’était libre, il n’y avait pas de pagination fixe. Ça me paraît
évident, je ne peux pas fonctionner comme ça. Pour le prochain Jules, je
dois encore remanier un peu la fin mais l’album fera environ 74 pages.
Parlons un peu de Jules justement. Je suis ravi d’apprendre
qu’il y aura un sixième tome, j’avais l’impression que la série s’était
arrêtée en 2006. Entre temps il y a eu votre Spirou, Journal d’un
ingénu.
Oui mais j’ai fait ce Spirou pour attirer les gens vers Jules par la
suite. C’est une série qui ne marche pas trop mal, elle est toujours en
réassort mais je voulais lui donner un coup de pouce supplémentaire.
Je trouve qu’il y a une rupture entre le premier tome, qui
est très science-fiction et les suivants, qui sont davantage ancrés dans
le quotidien (même s’il y a toujours des éléments fantaisistes).
Il y a toujours un fond de science parce que j’aime bien mettre des
petites choses que les gamins puissent apprendre. J’aime bien parler de
génétique, je trouve que c’est important de savoir comment ça
fonctionne. Après, le point commun entre tous les albums, c’est le côté
humaniste, c’est ce que j’essaie de faire. Et la science sert à ça, à
relativiser, à rabaisser un peu l’ego. Quand on sait ce qu’on est, qu’on
est fait d’atomes, on est bien peu de choses… Et du coup je comprends
pas cet ego humain qui conduit à foutre en l’air la planète. Y a
tellement de cons irresponsables au pouvoir… Nous ne sommes qu’à
l’adolescence de l’humanité et maintenant on a intérêt à changer, sinon
on va droit dans le mur.
En même temps dans Jules, la science n’est pas toute puissante, quand on regarde le personnage de la mère de Janet par exemple…
Oui, elle est un peu tordue. Et oui, personne n’est parfait et même les
sciences ne sont pas une solution absolue. La seule certitude qu’on a,
c’est qu’il faut douter de tout et surtout de soi. Se remettre en
question, c’est la seule clé pour s’en sortir.
Un petit mot sur Jean Regnaud. En général vous travaillez
seul, notamment sur Jules. Mais dès que vous collaborez avec un
scénariste, c’est avec lui.
C’est un vieux en copain d’adolescence en fait. Pour moi, ce n’est pas
une relation entre professionnels, c’est deux copains qui plutôt que de
travailler chacun dans leur coin, lui à l’écriture et moi au dessin,
préfèrent bosser ensemble. C’est à celui qui sortirait la plus grosse
connerie, à toujours surenchérir sur l’autre. On agit comme un miroir
sur l’autre, on voit tout de suite si un gag fonctionne ou pas, si on ne
s’égare pas, si on raconte quelque chose de réellement intéressant.
Ma Maman est en Amérique, c’est particulièrement fort, assez différent du reste, notamment d’Aleksis Strogonov.
Ça, c’est son histoire à lui, je ne suis pas du tout intervenu. Ce
texte, il l’a écrit dans son coin, et comme il le dit, il a dû mettre 40
ans à l’écrire. Quand il me l’a présenté… Il voulait que je l’illustre,
mais c’était une sacré responsabilité. Moi au départ, je ne voulais pas
parce que je connais tous les gens qui sont là-dedans, même la nounou !
Je lui ai demandé de confier ça à des copains très talentueux, comme
Marc Boutavan qui est très doué avec les histoires liées à l’enfance
[Ndr : l'illustrateur d'Ariol, scénarisé par Emmanuel Guibert]. Mais
Marc m’a dit que c’était vraiment à moi de le faire.
Et du coup travailler avec un autre scénariste qu’on vous
accolerait, comme ça se fait dans les « mariages arrangés » par les
éditeurs ?
C’est complètement absurde pour moi. Je n’écris pas pour dessiner,
j’écris pour raconter des histoires, je m’en fous de dessiner pour
dessiner. Il se trouve juste que je m’exprime avec le dessin. Après il y
a le métier d’illustrateur, je peux tout à fait illustrer des bouquins.
Mais il faut du temps pour le faire… Je ne suis pas d’accord avec la
façon dont on présente la BD. Pour moi le dessin, C’EST de l’écriture,
c’est juste un moyen.
Pour en revenir Jules, après un hiatus de 5 ans, la série reprend donc.
Oui, il y a encore plein de trucs à raconter aux enfants, il faut les
préparer. J’essaie de retrouver l’usage du conte d’antan, qui était de
préparer l’enfant à la vie dure qui l’attendait. Les contes étaient très
durs à l’époque, les enfants finissaient parfois abandonnés par leurs
parents ou carrément dévorés. Je trouve qu’aujourd’hui, il y a peu de
gens qui font de la BD jeunesse. Ou alors pour faire des histoires qui
préservent les enfants, des trucs en gag, de la gaudriole quoi. Moi,
j’essaie de leur raconter une histoire pour qu’ils comprennent le monde
dans lequel ils vont grandir, leur dire « ne croyez pas que c’est un
monde inaccessible, lointain, un truc d’adultes car c’est votre monde à
vous et vous avez intérêt à le prendre en main parce que là ça ne va
pas du tout ! »
Et c’est ce qui est génial dans Journal d’un ingénu, on sent
que c’est vraiment votre univers avec cette enfance qui côtoie une
menace sourde. D’un côté Spirou joue au foot avec les gamins du quartier
et de l’autre, il sent qu’il y a quelque chose qui est là, qu’il va
devoir affronter à un moment donné.
C’est l’innocence, quand on est gamin, on voudrait que tout soit beau et
on ne supporte pas l’injustice, la violence et la méchanceté. Il faut
se préparer dès l’enfance à faire quelque chose, à être acteur. On a
beau dire que nous ne sommes que des quidams noyés dans la masse, c’est
pas vrai : c’est nous qui faisons l’histoire. Il faut que les enfants se
prennent en charge, se responsabilisent et à ce moment-là, il se
passera quelque chose.
Dans le Journal d’un ingénu, vous avez raconté les origines
de Spirou. Vous allez réaliser un deuxième album de Spirou, mais
qu’allez-vous raconter cette fois-ci ?
Le truc très important, c’est d’expliquer à un gamin que même « s’il
n’est rien » et bien il existe tout de même et qu’il peut changer le
monde. C’est déjà beaucoup mais après il faut agir. Pour devenir un
héros, il faut agir. Spirou est un héros, donc il y a bien eu un moment
où il s’est passé quelque chose pour qu’il puisse devenir ce héros qui
agit réellement. Et pour cela, rien de tel que l’Occupation comme
contexte. En gros, je veux expliquer aux gamins qu’on ne devient pas un
héros parce qu’on le veut, ce sont simplement les circonstances qui font
qu’on le devient. Et souvent, c’est malgré nous. Les vrais héros ils
sont souvent morts, et ceux qui s’en sont sortis ont juste eu de la
chance. Les autres vont voir ces gens comme des héros, mais eux ne se
verront jamais comme ça. Ils diront simplement qu’ils ont eu de la
chance de s’en sortir et qu’ils ont fait ce qui leur paraissait être
bien à l’époque. Et ça c’est très important pour moi. Je ne veux pas
mythifier le héros pour le gamin qui lit l’histoire. Car il doit
comprendre que le héros, c’est aussi lui. On est tous notre propre
héros.
Le prochain Jules, en deux trois mots ?
Le prochain Jules se passe sur Terre, il est parfaitement d’actualité
parce que c’est sur la fin du monde et le fait qu’il faut agir dès
maintenant.
Entretien réalisé à St Ouen le 11 mai 2011 dans le cadre du festival Formula Bula.
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