Source Spirou et Fantasio.com
Qu'est-ce qui pousse un auteur de bande
dessinée à se lancer dans l'aventure d'un "one-shot" de Spirou ? La
gloire d'apporter sa petite pierre à l'édification
d'une série mythique ? Ou d'autres motivations, moins évidentes, plus
personnelles, auxquelles on ne pense pas tout de suite ? Émile Bravo nous raconte comment s'est passée pour
lui cette belle aventure.
La genèse du projet
C'est Fabrice Tarrin qui est le premier à m'avoir parlé du concept des one-shot de "Spirou".
Il est venu me voir pour me proposer de lui écrire un scénario.
Mais cet idolâtre ne jurait que par les années 60 alors que, pour
moi, le plus intéressant était de raconter la jeunesse du héros. À sa
création par Rob-Vel, Spirou est un personnage assez lisse
et insignifiant. Et même si, par la suite, Franquin a étoffé sa
personnalité en lui donnant une dimension humaniste, il lui manque
toujours une véritable psychologie.
Je trouvais amusant de montrer qu'un personnage de BD sans grande
individualité puisse prendre une part majeure dans les événements
dramatiques qui ont précédé et annoncé la Seconde Guerre
mondiale. Expliquant ainsi pourquoi, par la suite, il ne se plongera
que dans des aventures légères en évitant de se mêler de politique et
autres sujets graves.
Le contexte historique (la fin des années 30) et géographique (la
Belgique) me semblait également idéal pour glisser une réflexion sur
l'identité nationale, concept qui m'échappe totalement, et
rappeler que la neutralité d'un pays ne l'empêche jamais d'être
envahi.
Ensuite, j'ai laissé l'idée mûrir pendant deux ans, je me suis
documenté pour coller au plus près de la vérité historique et, un jour,
tous les éléments ont trouvé leur place logique dans ma
tête ; j'ai écrit l'histoire en trois mois et je l'ai dessinée en
quatre.
Découvrir Le grand secret de SpirouSpirou a été créé
par Rob-Vel en 1938 et n'a été repris par Franquin qu'une dizaine
d'années plus tard. Or les albums de "Spirou et Fantasio"
édités chez Dupuis ne commencent qu'avec les aventures réalisées par
Franquin. Je me suis donc demandé pourquoi cette décennie, quasi
inconnue du grand public, a été occultée. En même temps,
pendant ces années, Spirou qui était, à l'origine, un simple groom
(c'est-à-dire un larbin qui ouvre les portes aux clients d'un hôtel !)
est devenu un aventurier intrépide qui court le
monde.
Évidemment, durant cette période, il s'est tout de même passé un
événement majeur qui a traumatisé l'Humanité toute entière : la Seconde
Guerre mondiale. Je me suis donc demandé dans quelle
mesure ce traumatisme a touché ce gamin bruxellois (aux premières
loges, donc, pour assister au début du conflit) et l'a fait évoluer pour
devenir le héros que nous connaissons
tous.
Mes nombreuses questions d'enfantOutre
la question de la métamorphose
de Spirou, je m'interrogeais sur d'autres points : "Pourquoi Spirou
porte-t-il toujours un uniforme de groom sans jamais en exercer le
métier?", "A-t-il été amoureux?", "A-t-il une
conscience politique?", "D'où vient son amitié indéfectible avec
Fantasio?", "Et qui est ce Fantasio?", "Et Spip, qui est-il?
Pense-t-il?". J'avais envie de donner une réponse à tous ces
mystères. Y ai-je réussi? À vous, amis lecteurs, de me le dire...
Nous sommes tous des enfants de la guerre...Un jour, mon
père m'a dit une chose terrible : sans Hitler et Mussolini, je
n'existerais pas. Croyez-moi, c'est un choc ! En
m'expliquant que, sans l'aide des Allemands et des Italiens, Franco
n'aurait sans doute pas vaincu les Républicains. Il n'aurait donc
jamais fui l'Espagne et logiquement, jamais rencontré
ma mère en France...
Comme je vous le disais, c'est le genre d'affirmation qui marque.
Traumatisé, je me suis passionné pour cette période de l'histoire,
essayant de comprendre pourquoi l'inhumanité m'avait engendré.
Je me suis ainsi rendu compte que c'était le cas poure la plupart
des gens. En tant qu'être humain, même si on pense subir l'Histoire, on
en fait partie, on influe sur elle.
De même, "mes" Spirou et Fantasio tenteront de se tenir à l'écart
d'événements qui finiront par les rattraper... Car, qu'on se le dise, un
groom, en apparence, personnage insignifiant et servile,
fait partie de l'Humanité !!! Et, à ce titre, peut influer sur le
destin des hommes.
Les motivations dans mes autres BD
Je
pense que le message
que j'essaie de faire passer dans "Jules", ma série chez Dargaud,
n'est pas très différent. Seule la toile de fond change : dans Spirou,
elle est historique, alors que dans "Jules",
elle est scientifique... Les sciences avec ses potentialités et ses
dérives.
J'essaie de titiller l'intelligence des enfants, de les
responsabiliser, de leur faire comprendre que chaque être humain fait
partie d'un tout et de les rendre acteur de ce tout. Je crois
m'adresser avant tout aux enfants plus perméables à ce genre de
discours pour qu'ils tentent d'éduquer leurs parents qui sont souvent
trop formatés, trop passifs, des consommateurs souvent
irrécupérables... Ha ! Ha !
La bande dessinée "Tous Publics"C'est
celle que je préfère !
Celle qui s'adresse aussi bien aux enfants qu'aux adultes. Celle,
avec plusieurs niveaux de lecture, qui se partage en famille, qui
engendre des débats... Elle est fédératrice car elle induit la
complicité entre générations ! Dans sa conception, l'auteur doit
puiser dans son âme d'enfant pour parler au gamin qu'il était : l'enfant
questionne et l'adulte s'efforce de
répondre... Mais, attention, sans jamais faire de morale !!! C'est
un exercice extrêmement sain qui évite de se prendre au sérieux.
L'écriture graphiqueNotre
premier mode d'expression, bien avant
l'écriture, c'est le dessin. D'ailleurs, toutes les écritures sont, à
la base, des dessins qui se sont simplifiés et codifiés. Bref, tout
petit, je me suis rendu compte que je pouvais raconter
des histoires juste en dessinant... Par la suite, quand on m'a
inculqué l'écriture, je l'ai adjointe à mes histoires. Je veux dire par
là que la bande dessinée est une forme d'écriture graphique,
une écriture complète. À partir de là, rédiger un paragraphe ou
dessiner une case, c'est exactement la même chose, vous me suivez ?
Voyez les gens qui dénigrent la bande dessinée, ce
sont souvent ceux qui ne connaissent pas les codes graphiques :
des analphabètes du dessin ! Il doit y avoir un mot pour ça ;
"agraphique" ? Mais "graphique" veut dire
écriture en grec... Ce qui confirme ma théorie ! Quoi qu'il en soit,
il faudrait sérieusement réhabiliter le dessin dans les écoles afin de
faire comprendre la richesse de ce mode d'expression
essentiel à une culture civilisée...
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