mercredi 30 septembre 2009

Interview pour Point G... du 06 Janvier 2009

Le Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis, qui s’est déroulé du 26 novembre au 1er décembre dernier (toujours à Montreuil) a délivré, encore une fois, son lot d’heureuses découvertes et de prix judicieusement attribués.
Interview du dessinateur Emile Bravo, lauréat du Tam-Tam catégorie BD, pour Ma maman, un joli album où Jean Régnaud raconte son enfance sans sa mère.


Ma maman
vient d’être primé au salon de Montreuil. Votre réaction (presque) à chaud ?


Emile Bravo :
je suis très content, surtout pour Jean (Régnaud), auteur de l’histoire. D’un point de vue graphique, j’ai essayé d’exprimer au mieux ce texte, qui m’a beaucoup ému, et apparemment ça a fonctionné.


Ma maman
se situe entre l’illustration et la bande dessinée, pourquoi ce choix ?


E.B. :
la bande dessinée et l’illustration, quand elles sont bien faites, ne reprennent pas forcément des passages du texte. Là, l’illustration apporte de la narration graphique, le récit a d’ailleurs été construit comme ça dès le départ. Jean visualisait déjà les illustrations, il les a décrites en détail. On voyait qu’il avait besoin de s’exprimer de façon graphique. Ensuite, il m’a paru intéressant de mêler illustration pleine page et bande dessinée quand il y a du dialogue. Parce que la bande dessinée, selon ma vision, c’est du dialogue !


Dans Ma maman, on se demande quelle est la part de vérité ! Par exemple, la petite fille qui donne des nouvelles imaginaires de la mère de Jean, le petit garçon, ça aurait pû être mignon mais c’est monstrueux, non ?


E.B. :
oui, mais c’est la réalité, il s’agit d’une œuvre autobiographique. Tout ne s’est pas passé forcément en même temps. En fait, Jean a rassemblé tous ses traumatismes pour en faire une histoire. Il l’a juste un peu romancée pour que chronologiquement l’histoire tienne sur six mois, mais tout est vrai !


La lecture de Ma maman est très agréable pour un adulte, on se replonge dans le monde de l’enfance, qu’il soit drôle ou cruel. Avez-vous travaillé sur une double lecture ou est-ce qu’une bonne histoire pour enfant, c’est une bonne histoire avant tout ?


E.B. :
je dis souvent qu’une bonne histoire pour adulte doit être lisible par un enfant et inversement. Il faut marier ces différents degrés de lecture pour qu’un adulte développe également son interprétation. Et si Ma maman plaît à tout le monde, c’est parce que l’histoire de Jean est très bien ficelée.


Vous êtes un auteur jeunesse, cette appellation vous convient-elle ?


E.B. :
je suis un auteur tout public. J’ai adopté cette écriture graphique qu’est la bande dessinée pour m’adresser à des enfants. Mais il ne faut pas s’imaginer que je m’enferme dans un univers, je parle à tout le monde. Etant un adulte, il faut que les histoires que j’illustre ou que je crée me plaisent, c’est pour cela, je pense, que je ne fais pas dans la mièvrerie.


Vous êtes aussi l’auteur des Epatantes aventures de Jules, de deux albums très drôles dont les héros sont sept ours nain, avez-vous envie de publier des albums uniquement pour adulte ?


E.B. :
si on part de ma définition, je considère que Jules ou les Ours nains c’est de la bande dessinée pour adulte, parce qu’il y a un degré de lecture pour adulte.


Oui, cela s’adresse aux enfants et aux adultes, mais publier une bande dessinée uniquement pour adultes, ça vous tente ?


E.B. :
mais être adulte, qu’est-ce que c’est ? Je pense que c’est quand on renoue avec son enfance. Et ce que l’on présente, en général, comme étant de la bande dessinée pour adulte (c’est pareil pour le cinéma, pour la littérature), c’est lorsqu’il y a du sexe et de la violence. Pour moi, ça s’adresse plutôt aux adolescents ! Des œuvres pour la jeunesse, comme Tintin par exemple, sont beaucoup plus mûres.


Vous parliez de Tintin, le slogan de 7 à 77 ans semble vous correspondre !


E.B. :
oui, ce qui beau dans la bande dessinée, que l’on ne retrouve pas forcément dans le cinéma ou la littérature, c’est que ça peut se lire à deux, ça se partage. Une interactivité se crée, ainsi qu’une complicité intergénérationnelle. Je trouve ça si fort, et tellement particulier à la bande dessinée, que je trouve dommage de ne pas l’utiliser.


A propos de votre style graphique, votre premier album, Ivoire, a été publié dans la collection Atomium chez Magic Strip, où vous avez succédé à la fine fleur de la ligne claire franco-belge : Chaland, Cornillon, Avril, Dupuy & Berberian, assumez-vous cette héritage ?

E.B. : je me souviens avoir lu, étant gamin, le livre d’entretiens* avec Hergé, mené par Numa Sadoul. Ils y évoquaient la question de la ligne claire. Pour Hergé, ce n’était pas du tout un mouvement graphique, mais l’adéquation entre le texte et l’image. Cela signifie que l’aspect esthétique ne prime pas sur la lisibilité, la clarté et la fluidité de l’histoire. L’image est au service du récit, point barre ! Le côté esthétique ne m’a jamais vraiment préoccupé… Je cherche, bien sûr, l’équilibre dans mes cases et ne me lancerai pas dans une plongée si ce n’est pas nécessaire. Je ne me considère pas comme un dessinateur mais comme un “narrateur graphique”. Ce qui est important avant tout, c’est l’attitude, le mouvement, le jeu des personnages. Je parle souvent de théâtre. Les décors sont là simplement pour étoffer, donner une ambiance, ils faut les évoquer sans trop de détails car ça peut nuire à la lisibilité. Tout ce qui doit être dessiné en arrière-plan ne nécessite pas d’être trop appuyé : ce sont des choses qui sont vues en deuxième ou troisième lecture. A mon avis, on ne doit pas trop jouer avec ça parce que ça peut déstabiliser le lecteur. Aujourd’hui, il me semble que beaucoup de gens ne savent pas lire un dessin, donc il ne faut pas les perturber.


N’y a-t-il pas, tout de même, à l’origine, une fascination pour Chaland ?


E.B. :
oui. Ce qui me paraît intéressant avec Chaland, c’est l’opposition entre, d’une part, la pureté du trait, ces jolis pleins et déliés qui font référence aux années 50, début 60, avec ce côté innocent de la bande dessinée de l’époque et, d’autre part, le propos, très dur. Voilà ce qui me plaisait chez lui, pas l’aspect esthétique. Je n’ai jamais cherché à l’imiter. Lui prenait beaucoup de plaisir à réaliser des décors, fantastiques ; les miens sont basiques. Chaland avait un côté très graphique, moi, j’épure le plus possible pour servir le récit.


Vous avez été doublement récompensé pour Ma maman… (Angoulème, Montreuil), pour « votre » Spirou (Le Journal d’un ingénu avec le prix des libraires BD. Est-ce l’année Emile Bravo ?
 

E.B. :
(rires) je ne sais pas ! Je ne suis pas dupe, je me rends bien compte que c’est le vecteur Spirou qui porte tout ça. A partir de là, il faut rester humble. Tant mieux si ça plait et si ça peut aider à ce que les gens se penchent sur mon enfant à moi, Les Epatantes aventures de Jules, j’en suis ravi.


Les projets ?


E.B. :
je viens de finir un Ours nain qui sort au mois de mars, et je vais attaquer un Jules.

*Tintin et moi, entretiens avec Hergé de Numa Sadoul. Editions Flammarion.

Propos recueillis par Laurent Assuid
Source Point G Magasine

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