Biographie

Émile Bravo est né le 18 septembre 1964 à Paris d'un père émigré espagnol exilés en France et d'une mère également espagnole rencontrée en France.
Son père s’est battu pour la république, dans la cavalerie, et il lui raconte, tout en relativisant les choses : il n’était pas un héros, il était du bon côté, mais il aurait pu être de l’autre. 

Ça fait réfléchir. 
Tout gamin, Bravo se met à dessiner sur n’importe quoi, y compris son livret de famille, jusqu’à ce qu’on lui achète du papier. Et puis, son père lui racontant aussi Lucky Luke, Tintin et Popeye, il comprend que la BD est un lien entre lui et le monde adulte. 
 

 ’’J'ai grandi avec tous les belges. Mon enfance c'est Hergé, Franquin, Peyo, Morris.
De chez moi il y a également eu Gosciny, mais sinon je n'ai grandi qu'avec des auteurs belges. Et je ne savais même pas qu'ils étaient belges, je ne l'ai su que par la suite, en grandissant.

J'ai d'ailleurs une anecdote à ce sujet :
Quand j'étais petit je passais mes vacances en Espagne et je lisais des BD populaires de là-bas, comme Mortadel et Filemon.
Et il y avait notamment Ibanez, un auteur espagnol ultra connu qui a fait pratiquement toutes les BD populaires en Espagne. Il faisait une BD, El botonnes sacarino, qui mettait en scène un personnage habillé en groom. C'était en fait un personnage habillé en Spirou, mais avec la tête de Gaston. Et évidemment ce personnage était fainéant et ne faisait que des conneries.

Cette BD me faisait marrer, mais je n'avais pas fait le rapprochement. Jusqu'à ce que je voie un gag qui est la copie conforme du fameux gag où Gaston et Mademoiselle Jeanne vont au bal costumé, et où la queue de cheval de Jeanne sert à faire celle du costume du cheval.


C'est là que j'ai réalisé que tout le personnage était pompé sur Gaston et Franquin.’’

Il se met donc à créer ses versions personnelles de Popeye et Lucky Luke, et à inventer pour ses copains de classe des aventures qu’il leur fait jouer.
Parmi les copains, un grand de quatorze ans l’introduit dans le monde des sciences : 
 
" Il fabriquait de la nitroglycérine, et il avait construit un télescope et une fusée. Mais il s’intéressait surtout à ma sœur. " 
 
Peu importe. De toute façon, il veut devenir ingénieur, il adore les trains, et le frère d’un ami lui a expliqué la relativité : E=mc2. (Rien ne se perd, tout se transforme : il recyclera cette fascinante notion dans une aventure de Jules, qui, au retour d’un voyage de huit semaines sur Alpha du Centaure, découvrira que huit ans ont passé sur Terre.)

’’Je raconte souvent que durant ma scolarité, il y a à peu près 5 profs qui m'ont aidé à me construire, qui m'ont apporté des choses et dont les cours étaient agréables à entendre. Le point commun entre ces 5 profs, c'est qu'ils avaient le sens de l'humour et beaucoup de détachement par rapport à ce qu'ils nous apprenaient, du coup ça rentrait mieux.
C'était un vrai bonheur d'assister à leurs cours, car on se marrait et on apprenait énormément de choses.
Je pense que l'humour a toujours été un super vecteur d'apprentissage, surtout en ce qui concerne les sujets les plus graves.’’


En 1983, muni d’un Bac E, il change d’azimut et s’inscrit en Histoire de l’art, pour avoir la réduction étudiant au cinéma. Et en lisant Hugo Pratt, il découvre qu’on peut faire de la BD tout en vivant des aventures fabuleuses.
Lui aussi, il veut une vie d’aventure.
 
 " En fait, j’ai beaucoup moins voyagé que Pratt, j’étais trop cocooné." 
 
J’allais surtout en vacances en Espagne. " Donc, avec son Bac E et sa carte d’étudiant, il passe un an à bâtir une BD de 70 pages qui raconte l’histoire d’un orphelin allemand à la fin de la guerre. Personne n’en veut, mais Casterman a hésité et ça l’encourage. 
Là-dessus, il trouve le boulot idéal : maquettiste à mi-temps à Marie-France, où il commence à passer des illustrations, ainsi que dans la pub (Chez TBD et Illustrissimo) et ça rapporte.
Quand il comprend qu'il peut raconter des histoires avec ses dessins, il se lance dans l'écriture dessinée.

A cette époque (dans les années 1985) il rencontre Steven Jimel et Jean Regnaud à Bergerac, (Il sortait à l’époque avec la sœur de ce dernier).

 
Avec Steven il se lance dans la réalisation d’un Fanzine « 100 colorants » et monte la maison d’édition Capone.

Mais c’est avec son vieux complice Jean Regnaud qu'il fait ses premières armes.

Ce qui donne Ivoire, sortie en 1990, chez Magic Strip dans la formidable collection des frères Pasamonik « Atomium » avec Jean Regnaud au scénario.

En 1992, il s’installe avec Lewis Trondheim, Christophe Blain, Emmanuel Guibert, Joann Sfar, Jean Christophe Menu, David B, Tronchet, … dans l’atelier Nawak au 44 rue Quincampoix à Paris, antichambre du futur atelier de la place des Vosges. 

Image Joann Sfar

En 1993, toujours avec Jean Regnaud, il attaque une trilogie. " On voulait un idéaliste apatride perdu dans un climat de violence totale. Et on voulait montrer le personnage tel qu’il aurait été à l’époque, ouvert mais ignorant, lisse comme un enfant. " Ça donne l’histoire formidablement drôle et émouvante d’Aleksis Strogonov chez Dargaud, paumé en plaine fureur bolchevique.
En 1995, il fonde avec la plupart des anciens de l’atelier Nawak, l'atelier des Vosges, Place des Vosges à paris, que rejoindront Frédéric Boilet, Marjane Satrapi et Marc Boutavant. Proche de plusieurs auteurs de l'Association, Émile Bravo se démarque de leurs auteurs emblématiques par un respect de la tradition et des canons de la bande dessinée d'aventure pour enfants en reprenant les principes de la ligne claire d'Hergé. 
 
Image Joann Sfar

Image Joann Sfar

Image Joann Sfar

Image Joann Sfar

Image Joann Sfar

Image Joann Sfar
 
Pêle-mêle des séjours à la Réunion et à Fidji -Lewis Trondheim

Aujourd’hui, il travaille à "La Piscine’’, un atelier collectif d'artistes, illustrateurs et illustratrices, auteurs de bande-dessinée, éditeurs, situé à Paris, dont les membres sont Delphine Chedru, Aurore Callias, Marc Boutavant, Christian Aubrun, Émile Bravo, Manu Boisteau, Julien Magnani et Eugène Riousse. 

En 1999 dans Okapi, il débute en solo les Épatantes Aventures de Jules. Les petits lecteurs d’Okapi font découvrir Jules à leurs parents, et c’est parti.

" Pour moi, la BD est liée au monde de l’enfance, et retourner dans l’enfance, ce n’est pas régresser. Régresser, c’est retourner dans l’adolescence, avec ses idées toutes faîtes. "


La série est ensuite éditée en albums chez Dargaud, et connait un faible succès commercial, mais est reconnue par la critique. Éléphant d’or du meilleur album jeunesse à Chambéry pour « L’imparfait du futur ».
Le deuxième tome « La réplique inattendue » lui vaut aussi le Prix René Goscinny en 2001.
En 2003 sort " C’était la guerre mondiale" chez Bréal Jeunesse, déjà précurseur de son intérêt pour la grande histoire.
En 2004, il réalise, "Boucle d'or et les sept ours nains" (Le Seuil jeunesse) récompensé par le prix Bernard Versele en 2006.
En 2005, sort une nouvelle histoire, "La faim des sept ours nains" (Le Seuil jeunesse) récompensé par le prix Jeune Public-Ligue de l'enseignement en 2006 et le Prix des incorruptibles en 2007.
En 2007, il illustre l’histoire autobiographique de Jean Regnaud  "Ma maman est en Amérique elle a rencontré Buffalo Bill" (Gallimard Jeunesse,) qui remporte plusieurs prix dont le Prix Essentiel à Angoulême en 2008 et le Prix Jeune Public-Ligue de l'enseignement en 2007
Tentant de rapprocher cette bande dessinée si décriée, de l'édition jeunesse, afin d'élargir son lectorat.
Majoritairement reconnu pour ses séries jeunesse, qu'il continue de faire paraître, Bravo réalise de nombreuses illustrations pour la presse, d'Astrapi à Spirou en passant par Je Bouquine, pour des romans (Le Club des baby-sitters d'Ann M. Martin ou Les Grandes Grandes Vacances de Michel Leydier) ou pour des publications collectives.
C'est en 2008 que son plus vaste projet voit le jour : créer son Spirou.
Pour Dupuis, Émile Bravo dévoile sa vision personnelle de Spirou et Fantasio et tente de donner des réponses à toutes les questions qu'il se posait, enfant : comment un adolescent qui tient les portes dans un hôtel peut-il se révéler et devenir le jeune aventurier que nous connaissons ? A-t-il été amoureux ? D'où vient son amitié indéfectible pour Fantasio ? C'est à ces questions, et quelques autres, qu'Émile Bravo tente de répondre dans "Le Journal d'un ingénu, une aventure de Spirou et Fantasio par Émile Bravo".
En situant son album en 1939, il nous livre l'album fondateur de la série "Spirou et Fantasio", celui qui explique, ou du moins remet en perspective, les albums parus à ce jour. Cette aventure inédite du jeune groom recueille très vite les louanges de la critique et multiplie les récompenses : Prix des libraires, Grand Prix RTL, Prix Diagonale et Prix du meilleur album chez BDGest'Arts en 2008 ; Prix Essentiel à Angoulême, Prix des Cheminots et Prix "Le Peng" de la meilleure BD européenne en 2009 ; Prix littéraire jeunesse en 2010.

En 2011, après 5 ans d'absence, il revient à Jules avec un sixième tome, prépublié pour la première fois dans le ‘’le Journal de Spirou’’. Il conçoit aussi quelques one-shots, et participe à différents projets collectifs.
Une nouvelle pause prolongée s'annonce cependant pour son petit Jules.
Fort de son succès et conscient qu'il n'avait pas tout dit, Émile Bravo se consacre depuis une décennie à la suite de son Journal d'un Ingénu, immergeant Spirou dans la Seconde Guerre mondiale.
Quatre tomes composeront cette longue aventure de 300 pages intitulée L'Espoir malgré tout. Le premier album de cette tétralogie, sous-titré "Un mauvais départ", sort en octobre 2018 en même temps que la réédition du Journal d'un ingénu augmentée d'un récit court : "La Loi du plus fort". Les tomes suivants paraîtront respectivement en 2019 ("Un peu plus loin vers l’horreur") et 2020 ("Un départ vers la fin" et "Une fin et un nouveau départ").
 
Travail unanimement reconnu par la critique :
  • "L’œuvre parvient à transformer l'espace de la bande dessinée en un lieu mémoriel par excellence." Arte
  • "Spirou ou l'espoir malgré tout se dévore du début à la fin, tant sa narration est impeccable." 9ème art
  • "À vraiment mettre entre toutes les mains" France Inter
  • "Avec son humanisme à fleur de peau, Spirou poursuit son chemin vers la maturité." Le Monde
  • "Un formidable album pédagogique." L'Obs


Sa méthode de travail :

’’Lorsque je parle de scénario, j’évoque ce que d’aucuns appellent un « storyboard ».
C’est à dire que je remplis les cases directement, sans écrire de synopsis. Je ne passe par cette étape que lorsque l’éditeur m’y oblige, ce qui est heureusement rare – j’ai alors l’impression de retourner au collège !
Face à mes planches, mon travail ressemble à celui d’un acteur sur scène : je joue le rôle de chacun de mes personnages, parfois dans ma tête, parfois pour de vrai. Je fais donc du théâtre dessiné, en me disant : » Voilà ce que je ferais si j’étais untel «.
Ça ressemble à une sorte de transe, c’est épuisant ! Les dialogues et l’expressivité des personnages sont très importants. Ce sont ces éléments qui font vivre une BD.
Une fois cette étape primordiale passée, je mets tout au propre, ce qui est nettement moins amusant. J’ai l’impression de recopier ma dissertation à l’école ! J’améliore la lisibilité de l’ensemble, je recadre, j’encre au feutre pinceau. ‘’

Sa conception de la BD :
 
"Le dessin, c'est l'écriture universelle"

’’Je fais des bandes dessinées pour les gens qui n’en lisent pas. Pour moi, la BD n’est pas un dessin plus un texte.
Ces deux éléments sont indissociables. Ils forment une écriture graphique qui devrait être accessible à tous, sans nécessiter une certaine maîtrise de codes spécifiques. 
Pour moi, une case est comme le paragraphe d’un roman. Il faut se souvenir qu’au départ, toutes les écritures sont constituées de dessins. Car le dessin permet de se faire comprendre n’importe où, par n’importe qui.
La qualité première d’un album est d’être lisible par quelqu’un qui ne connaît pas la bande dessinée. Il faut donc s’adresser au plus grand nombre. 
Selon moi, pas besoin de s’embêter à faire un dessin laborieux ou hyper complexe. Je ne vois pas à quoi sert de faire un dessin ultra réaliste quand, avec deux points, on peut faire passer autant d’émotions que via deux yeux larmoyants. 
Le minimalisme laisse imaginer beaucoup de choses de la psychologie des personnages. Il est plus important de faire fluide pour que la lecture soit bonne. Un dessin trop fouillé, ça peut être beau mais ça nuit à la lisibilité. C’est comme un texte en caractères gothiques ou un style ampoulé.
Personnellement, je ne me considère pas du tout comme un dessinateur. Un vrai dessinateur a ça dans le sang, il sort son carnet de croquis toutes les cinq minutes. Moi, je peux passer des mois sans toucher un crayon.
Mais j’ai des facilités à décrire des situations avec mon dessin – très codifié d’ailleurs. L’écriture dessinée est mon premier mode d’expression.’’ 

"Il faut que le dessin se libère pour être réellement au service de l'histoire…"  
 


Son parcours :

’’Quand j’étais petit, mon père me lisait des albums d’Astérix, Tintin ou Lucky Luke pour m’endormir. 
J’ai très vite eu envie de raconter des histoires dessinées, mais je ne réalisais pas que c’était de la BD. Je ne pensais pas que cela pouvait devenir mon métier. 
Au départ, je voulais m’inscrire dans une école d’ingénieur. Mais j’ai fait ma crise d’ado à la fin du lycée, j’étais énervé contre le système. J’ai donc grillé mes chances de faire carrière dans ce domaine.
À 17 ans, alors que je n’avais jamais rencontré d’auteur ni fréquenté de festival de ma vie, j’ai décidé de m’orienter vers la bande dessinée.
Après le bac, j'ai pris une année sabbatique durant laquelle j'ai fait une bédé de 70 pages, jamais publiée, mais il y a eu une hésitation de la part de Casterman, ce qui était plutôt encourageant. 
Le simple fait que ce soit accepté par mes parents, le simple fait d'avoir sa table, de prendre sa feuille et de commencer à dessiner etc, m'ont suffi et je me suis fait mon auto-formation, je ne me suis servi de rien, pas de modèle sauf l'histoire que j'avais en tête. 
Il fallait surtout que ce soit le plus fluide possible. Je la réutiliserai plus tard, quand ça sera mieux digéré. 
C'était l'histoire d'un gamin qui avait été enrôlé dans les derniers mois de la 2e guerre, le summum du cauchemar pour un môme et je l'ai exorcisé en faisant cette bédé. 
Un truc dramatique, pas drôle, après quoi j'ai préféré l'humour aux choses sinistres.
Puis j’ai été maquettiste chez Marie-France pendant trois ans, et illustrateur.
En 1990, j’ai publié ma première BD en dilettante (Ivoire chez Magic Strip) sur un scénario de Jean Regnaud, mon vieux copain de post-adolescence. 
Nous avions le même humour, alors nous avons continué à écrire ensemble (Aleksis Strogonov, Dargaud). 
Comme il ne savait pas dessiner, je m’y suis collé.’’
 

Ses influences : 
 
’’Enfant, je lisais les classiques. Je baignais dans l’univers de René Goscinny, Franquin, Hergé, Peyo ou encore Morris.
 
Ces artistes savaient construire une histoire. Ils n’oubliaient jamais le lecteur, lui prenant la main, cherchant constamment à l’étonner.
Adolescent, j’ai découvert Hugo Pratt avec les aventures de Corto Maltese, et puis un jour je suis tombé sur Maus de Art Spiegelman
Cet album est pour moi aussi fort que du Primo Levi.
J’admire beaucoup son travail, le fait de servir son récit dur et touchant sur la Shoah en réduisant son dessin au minimum. Il n’y a pas d’artifice, au profit de l’histoire et de la dureté du propos.
Et puis j’aime le travail des copains : que ce soit Emmanuel Guibert, Riad Sattouf qui traite bien l’adolescence, ou encore Marc Boutavant…’’
 
La BD jeunesse :
 
’’Elle s’est révélée un formidable vecteur pour faire passer de petits messages éducatifs. Je trouve que nous vivons dans un monde d’ados attardés, gouvernés par des gens qui ne s’affirment qu’à travers le pouvoir. C’est totalement puéril ! Nous devons mûrir…. A travers mes albums, je cherche à écraser l’ego des êtres humains, responsable de nos malheurs. Mieux vaut s’y prendre tôt !
Le premier épisode d’Une épatante aventure de Jules (Dargaud) racontait la relativité, le deuxième abordait le thème du clonage, le troisième l’histoire de l’humanité, le quatrième la mort… Petit, j’adorais l’aspect ludique des sciences. Je trouve important d’expliquer que l’on gère très mal la planète, que l’on se prend pour le summum de l’évolution alors que nous ne sommes que les prémices d’un agglomérat de cellules. Avec Jules, j’aime aborder tout ce qui peut troubler. Je n’apporte aucune réponse, je me contente de poser des questions avec humour, sans faire la morale. J’utilise un personnage naïf, auquel le jeune lecteur peut facilement s’identifier. Il est candide, comme mon Spirou, mais idiot. Avec cette série, je cherche à faire une bande dessinée fédératrice, qui crée une complicité entre les générations, parle aux enfants mais aussi au gamin qui sommeille dans chaque adulte.
J’ai aussi fait un travail d’illustrateur, de calligraphe en quelque sorte, pour Ma maman est en Amérique, elle a rencontré Buffalo Bill [un album publié par Gallimard, qui met en scène un petit garçon ignorant la mort de sa mère, et qui a reçu cette année un prix Essentiel à Angoulême]. Cette histoire autobiographique de Jean Regnaud m’a beaucoup ému, je ne connaissais pas cet aspect de sa vie.’’
 


Le choix de travailler avec d’autres auteurs :
 
’’Je préfère travailler avec des auteurs et copains, il y a une plus grande émulation. 
On s’est tous retrouvé dans l’atelier Nawak puis place des Vosges, j’étais un des seuls à travailler plus pour la jeunesse. 
Et puis on a tous débuté ensemble : Joann Sfar faisait son premier « patte de mouche » à l’Association et Christophe Blain était sur son Carnet d’un matelot. 
On pensait qu’il y avait quelque chose d’autre à faire dans le milieu de la bande dessinée, et on voulait le faire…
C'est incroyable, on est arrivé à l'atelier Nawak (Trondheim, D.Bauchard) quasiment ensemble, une place se libérait pour moi, Christophe Blain était à peine en train de s'installer, Joann Sfar arriverait 3 semaines après et Emmanuel Guibert au bout d'un 1 an. En découvrant Les Carnets d'un matelot de Christophe, les croquis sur son année de service militaire passé dans la marine dont il a fait un livre superbe, je me suis dit : voilà comment j'aurais aimé dessiner si je savais dessiner. Puis Joann est arrivé avec sa liberté d'expression et je me suis dit qu'il fallait se lâcher, se libérer d'un graphisme que j'avais adopté, qui me venait de ma formation maquettiste-illustrateur, la ligne claire se vendant bien en illustration dans les années 80.

J'ai compris que la bédé ce n'était pas le graphisme, c'est tout autre chose, c'est l'histoire. Il faut que le dessin se libère pour être réellement au service de l'histoire.

Ensuite, il y a eu une symbiose qui s'est créé au sein de l'Atelier entre ces deux écoles, celle de Joann et la mienne. J'ai un passé cartésien, je viens du technique et chez moi on sent un catholicisme latent, les choses sont judéo-chrétiennes, il faut que ce soit carré. Je lui (Joann) ai vendu le fait de construire une histoire, même s'il ne l'adopte pas du tout, mais mon truc à moi c'est très structuré, rien n'est laissé au hasard, si l'histoire n'est pas finie, je ne me lance pas dans le dessin. Comme je vous le disais ça sort, le dessin est là, ensuite je taille dedans, c'est souvent très fluide, mais dans la structure il faut que ça tombe pile-poil. Ce sont des rouages, des petits mécanismes, il faut que ça fonctionne de la 1e à la dernière case et c'est un travail d'horloger en amont. Mais qui ne m'empêche pas de m'exprimer. En fait dans les dialogues, mon processus de création est assez simple, je me lance, je joue, je me mets en situation, mais dans le fil conducteur de la structure, je fonctionne avec un chemin de fer. Néanmoins le résultat final est le même, soit on le prépare instinctivement dès le départ, soit on le construit. Mais pas laborieusement attention ! Je n'aime pas le travail laborieux. Il faut se faire plaisir avant tout.

En se retrouvant en atelier, chacun avait sa vision, mais finalement tout se complétait. On voulait tous dire la même chose, s'exprimer et communiquer des choses aux gens. Les nouveaux qui arrivent -je pense notamment à Riad Sattouf- étaient coincés dans l'univers sclérosé de la bédé, c'est-à-dire une bédé de commande avec un scénariste-producteur, un style réaliste, des cadrages cinématographiques etc… Riad est la première personne qui a su romancer, raconter son époque, c'est un auteur contemporain qui ne tombe pas dans le consensuel. On sent le chaos de notre société dans les bédés de Riad. Voilà un auteur ! Quelqu'un qui parle de son monde, et qui le connaît bien son monde. Ça a tout de suite collé avec ces gens. Ça s'est fait naturellement.
Marjane a récupéré l'atelier des Vosges (anciennement l'Atelier Nawak ndlr) et voilà aussi un phénomène intéressant.

Aujourd’hui, je suis à La Piscine en compagnie de Marc Boutavant, Delphine Chedru, Christian Aubrun, Manu Boisteau ou encore Nine Antico.’’
 

Sa technique : 
 
 ’’Je me sers plutôt du feutre-pinceau, et le grain apparaît avec cette technique et un papier épais. En ce qui concerne la couleur, c’est par ordinateur ! Le public en bande dessinée reste généralement bloqué par certains codes graphiques. Je joue avec les couleurs, avec des teintes différentes, plus rétro comme pour Ma Maman est en Amérique.’’
 
"Quand on crée une BD, cela ressemble à du théâtre, on joue tous les personnages", 

"Je commence par dessiner au crayon bleu, pose les dialogues. J'appelle ça le "fantôme de la création". Puis je crayonne en noir".

"Ensuite, c'est de l'artisanat. Je reporte tout sur un format plus grand avec pinceau-feutre et encre. C'est ce que je montre à l'éditeur".

"Les planches sont alors scannées puis mises en couleur sur ordinateur."

"Après le scan, dernier contrôle. On passe un petit coup de burin sur ordinateur ! Mais il faut savoir s'arrêter. Même si un an après, on voit plein de défauts".

Spirou... et après? :  
 
"Pour l’instant je me vide la tête. Mais bon, il y a tellement de choses à dire que je vais continuer. Mon idée est toujours la même : transmettre aux jeunes, aux générations futures, et toujours en essayant de se marrer un peu. Si je m’adresse à la jeunesse, c’est que ce sont eux qui pourront peut-être trouver une solution. Alors si mes histoires peuvent apporter ne serait-ce qu’une toute petite pierre à l’édifice pour rendre, c’est con à dire mais… le monde meilleur, le départir de ces identités, de ces nations, pour essayer de faire comprendre que nous ne sommes qu’une petite planète perdue au fin fond de l’univers… Il va falloir qu’on réfléchisse à tout ça sérieusement et tous ensemble, parce que comme on le voit avec le changement climatique, ce n’est pas le problème d’un pays, mais celui de l’espèce humaine toute entière."
 
Trois livres à lire absolument : (Source Babelio)
 
« Les gens vont penser que je suis quelqu'un de très sombre. » 
 
Voilà les premiers mots qui viennent à l'esprit d’Émile Bravo au moment où il s'apprête à nous dévoiler trois coups de cœur. Son choix est en effet constitué d'œuvres qui ne sont pas forcément faciles à lire ou qui, du moins, n'hésitent pas à montrer l'humanité dans ce qu'elle a de plus abject. Mais ce sont trois chefs-d'œuvre que l'auteur et illustrateur français ne peut s'empêcher de recommander et qui ont marqué sa vie. Ce sont trois œuvres importantes et on gage que son troisième choix devrait faire grandir le cercle de lecteurs de l'un des plus respectés - mais méconnus - auteurs de BD français. 
 
Primo Levi, Si c'est un homme
« Je pense que c'est un livre énorme qui parle pour la première fois de ce que l’humanité a pu faire de pire. Mais Primo Levi, en tant que chimiste, sait bien décrire la chose. Il a une vision assez froide des événements tout en gardant, et c'est très important, le sens de l'humour. En décryptant le pire de l’humanité, le livre nous apprend beaucoup de choses sur nous-même. »
 
Art Spiegelman, Maus : Intégrale
« Dans le même genre que Si c`est un homme  mais en bande dessinée je propose Maus : Intégrale de Art Spiegelman. Je trouve que ce n’est pas absurde de faire le parallèle entre les deux parce que cette BD montre que le neuvième art est capable de proposer des œuvres aussi fortes que Si c’est un homme mais avec un petit truc en plus qui est propre à la BD : grâce au zoomorphisme, le fait de transformer des personnages humains en animaux, Art Spiegelman a pu prendre des codes que même les enfants peuvent comprendre (le chat contre la souris) pour rentrer au plus profond du système concentrationnaire et nous permettre de voir ses pires images. Je pense souvent à celle de cette fosse où l’on voit des rats brûler. C’est une image terrifiante mais qui est regardable. C’est notre cerveau qui fait le lien et qui va retranscrire la réalité de cette scène et transformer les animaux en êtres humains. »

Yves Chaland, Le Jeune Albert  
« Enfin, une autre BD que je trouve importante et qui m’a beaucoup apporté personnellement c'est Le Jeune Albert de Yves Chaland. C’est une BD assez dure mais dans un autre registre puisqu’il est question ici de gags d'une demi-page, parfois un peu plus. C'est l'histoire du jeune Albert, un jeune homme d’une noirceur terrifiante. C’est toujours très drôle mais on rit jaune. Ce génie qu’était Yves Chaland va très loin dans la nature humaine à travers un personnage qui a l’air tout à fait sympathique, tout à fait innocent, qui pourrait même sortir des pages de Spirou si ce n’était la noirceur de son âme ! Les gags nous posent des questions sur nous-même, sur ce que l’on peut avoir de pire. Et le dessin de Chaland est - comme toujours - remarquable ! »   
Travailler en silence : (Source Zoo le mag)
 "Puisque nous sommes au Cabaret Vert, parlons musique. Émile Bravo en écoute en travaillant, mais pas toujours. « Pas quand j'écris, j’ai besoin de concentration totale. Pas de bruit, rien ! Ou alors en bruit de fond, mais il ne faut pas que je comprenne les paroles, qu’il y ait des interférences. Mais quand je dessine, oui. J'écoute souvent ce que j'écoutais quand j'étais plus jeune, sinon je mets des radios. Je peux aussi bien écouter de la musique classique ou même du jazz. Pas de l’easy listening. Pas du punk-rock non plus. J’écoute des musiques calmes. C'est important la musique mais je me sens largué par rapport à la scène musicale depuis une dizaine d'années. »

Quand on lui demande à quels concerts il est allé récemment, Bravo a du mal à s’en rappeler, cela fait longtemps. « Je suis en train de chercher. Tu sais, le groupe que tu adorais quand tu étais jeune et quand tu vas le voir, ils ont pris 30 40 ans et c’est hyper-dur ! Donc c’est pour ça que je n’y vais plus ! » Avant de citer Dominique A.

Concernant les concerts du Cabaret Vert : « Bien sûr, après les dédicaces, je suis plongé direct dans le bain, avec la scène Zanzibar ! J’ai un super souvenir en fait du premier que j'ai vu. Ce groupe australien qui s'appelle Amyl and the Sniffers. Après, on a l'impression d'être dans un parc d'attraction : il y a plein de manèges et on ne sait pas où aller ! Car ils jouent en même temps à différents endroits. Et car je suis en dehors de ça depuis un moment. »