Article paru dans le mauricien.com du 3 decembre
2011.
Émile
Bravo fait la chasse aux idées reçues sur la bande dessinée à partir de
quelques constats et en
s’insurgeant à propos de certains phénomènes liés aux modes et au
marché. Venu récemment à Maurice pour animer des ateliers autour de la
BD et de l’illustration jeunesse sur une invitation,
l’auteur a expliqué lors d’une conférence à l’IFM, de manière
convaincante et démonstrative, que la bande dessinée était avant tout
une écriture, le dessin y faisant simplement office d’outil ou
de code…
Les
dessinateurs de bande dessinée (BD) n’en reviennent parfois pas
eux-mêmes lorsqu’ils voient les files
d’attente de fans demandant des dédicaces et signatures dans les
salons et rendez-vous culturels. Le dessin exerce une attraction telle
qu’une bande dessinée peut continuer de « vivre » en
publiant de nouveaux albums après la mort de ses auteurs… Ce
phénomène a le don d’énerver Émile Bravo qui considère par exemple la
survivance d’Astérix après le mort de René Goscini comme « le
scandale du siècle », estimant les albums qui ont suivi comme « nuls
» parce qu’ils ont été imaginés sans leur auteur, simplement prolongés
par leur dessinateur.
Le
père de Jules et ses épatantes aventures estime que la BD ne doit pas
être perçue que par le biais de
son dessin et de la fascination qu’il exerce. Aussi, l’idée qu’on la
considère comme une forme d’expression puérile l’exaspère. « Nous avons
du mal à admettre que la BD est avant tout une
écriture car nous avons oublié qu’au départ, avant de se codifier de
manière de plus en plus abstraite, l’écriture a commencé par le dessin.
L’écriture cunéiforme primitive était figurative, les
idéogrammes également et ils le restent encore à certains égards
aujourd’hui. Au fil des siècles nous avons perdu le lien qui existait
entre le dessin et le code de l’écriture », explique Émile
Bravo.
Comme
le début de l’Histoire a été associé à celui de l’écriture, tout ce qui
a trait à l’expression orale,
aux arts rupestres (etc) relève de la préhistoire… Et il est
difficile de voir de l’écriture dans le dessin et du dessin dans
l’écriture. Nous avons oublié que le dessin était un mode de
communication codifié. La BD peut se comprendre partout, elle a
néanmoins ses codes, styles et familles de langage à l’instar de l’école
franco-belge, des mangas, ou des comics américains pour ne
citer que les plus connus.
Irréaliste et expressive
Émile
Bravo se passionne pour l’expressivité que permet la BD grâce à sa
capacité d’abstraction et de
stylisation. Ainsi, estime-t-il, des BD trop réalistes semblent
souvent « mal jouées… Imaginez un roman photo avec des visages plus
expressifs. Très vite, le réalisme conduit à la caricature ».
Le fait qu’ils ne soient pas réalistes permet aux dessins de BD
d’être plus expressifs, voire même d’exprimer des choses impensables au
cinéma ou dans la littérature. Émile Bravo cite en exemple
Mouse de l’auteur américain Art Spiegelman, qui a su représenter les
camps de concentration et l’holocauste, grâce à la stylisation et à la
zoomorphisation des personnages (avec les nazis en
chats et les juifs en souris).
Ce
traitement a permis de rendre cette BD accessible aussi bien aux
adultes qu’aux enfants. Émile Bravo en
veut aux chapelles et aux clans de la BD qui font que par exemple
Mouse n’a pas trouvé d’éditeur de BD en France… mais un éditeur non
spécialisé à l’époque. Et Persepolis de Marjane Satrapi a été
un succès mondial en étant néanmoins boudée au départ par les fana
de BD, car elle ne rentrait pas dans leurs codes et petites habitudes…
En
fait, le conférencier regrette qu’il existe dans le secteur de la BD
tant de produits et si peu de
véritables auteurs, simplement parce que les droits d’auteurs
peuvent être vendus comme dans le cas des séries télé. Le dessin a beau
exercer une grande fascination sur le public et faire bien
marcher le tiroir caisse, il existe néanmoins très peu de grands
dessinateurs dans le secteur de la BD – Émile Bravo en compte cinq en
France – qui excellent dans leur art d’un côté et reviennent
aux codes de la BD lorsqu’ils font un album…
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