Entretien avec Émile Bravo, par L. Gianati pour le site BDgest.
L'aventure Spirou étant passée par là, il a fallu attendre cinq ans pour découvrir, enfin, un nouvel album de Jules.
Au programme de ce sixième tome : une fin du monde annoncée, des
extra-terrestres (pas tous) rigolos, des politicards sans scrupule, des
naufragés pas si désespérés etc..., le tout emballé dans un nouveau
format qui offre de nombreuses pages supplémentaires. Que demander de
plus ? Rien ? Ah si... Peut-être deux ou trois choses à Émile Bravo.
Cinq années se sont écoulées depuis les dernières aventures de Jules.
Cette « pause » est-elle la conséquence d’autres projets ou avez-vous
décidé de prendre un peu de recul par rapport à ce personnage ?
Il y a surtout eu entre-temps un album de Spirou. D’autre part,
j’attends vraiment d’avoir quelque chose à dire, que mes histoires
mûrissent bien avant de me lancer sur un nouvel album. Et puis, je n’ai
pas vu le temps passer… Combien d’années vous dîtes ? (sourire)
Cinq ans. La question du Père est sorti en mai 2006.
On vit dans un monde qui va à toute allure… J’attendais vraiment le bon
sujet. En règle générale, comme je m’adresse aux enfants, je souhaite
raconter mes histoires de façon posée, à leur dire des choses qui les
préparent au monde qui les entoure, tout en parlant aussi à leurs
parents.
Cette aventure Spirou, c’était un rêve de gamin ? Avec le recul, comment l’avez-vous vécue ?
Ce n’était pas vraiment un rêve de gamin. Quand on m’a proposé ce projet, j’avais quelque chose à dire sur Spirou et les choses se sont faites naturellement. On me dit souvent « Cela a dû être lourd à porter de réaliser un album de Spirou
! ». Mais tout ça n’est QUE de la bande dessinée et je ne prends pas ça
très au sérieux, comme beaucoup de choses d’ailleurs. J’ai juste trouvé
ça marrant d’utiliser un personnage très populaire pour raconter une
histoire très personnelle.
On parle d’un deuxième tome annoncé à l’horizon 2013. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
C’est en tout cas ce qu’on a prévu, même si je n’aime pas trop
travailler sur commande. Je veux me donner du temps, même si Dupuis
aimerait bien que l’album sorte pour le 75ème anniversaire de la
création de Spirou. Ce sera la suite du premier volume qui se
déroulera également pendant l’Occupation. Quand on parle de « héros »,
rien de tel que cette période pour définir ce qu’est vraiment un héros.
Ce sont plutôt les circonstances qui font un héros et non pas la nature
même d’un être humain.
On retrouve Jules dans un format plus grand que les tomes
précédents (78 pages contre 54 habituellement). Commenciez-vous à vous
trouver un peu à l’étroit ?
Oui, j’avais besoin de cette liberté. Je commençais à en avoir assez de
cette histoire de pagination. On ne demande jamais à un écrivain combien
de pages va faire son roman. Pourquoi le demande-t-on à un auteur de
bande dessinée ? Je sais très bien qu’il existe des contraintes
techniques. On a souvent limité les albums pour enfants à un format de
46 pages. J’estime que si on rajoute une ou plusieurs pages
supplémentaires, on peut raconter quelque chose de plus fort, sans avoir
le souci de tout condenser. Goscinny était d’ailleurs un génie pour ça.
Il parvenait à raconter des histoires fantastiques avec l’art de tout
faire tenir dans un format de 46 pages. Mais n’est pas Goscinny qui
veut. Il y a déjà suffisamment de contraintes dans la bande dessinée
pour ne pas rajouter celle de la pagination. Quand un auteur a besoin de
pages, il faut savoir les lui donner, en tout cas quand cela est
justifié par l’histoire, ce qui, je pense, est mon cas. (sourire)
On se rend compte très vite de ce besoin d’espace en observant les deux premières planches du tome 6 de Jules qui sont pleine page…
Tout à fait, et c’est justifié par l’histoire. Je commence par parler de
l’univers et j’utilise donc une pleine page. Je me vois mal faire tenir
l’univers sur une seule case. (sourire) Cela fait son petit effet sur
le lecteur. L’utilisation de la place est très importante. C’est un peu
comme dans Spirou quand j’utilise une pleine page pour une scène de bombardement, c’est quelque chose qui marque.
Un plan sur la comète traite de la fin du monde. Quel est votre regard de scientifique sur l’évolution de la planète ?
L’espèce humaine est très jeune et ne parvient pas à voir plus loin que
le bout de son nez. Elle se considère seule au monde et maîtresse de
l’univers. On est en fait une espèce complètement adolescente qui essaye
de s’imposer. C’est totalement puéril. Je suis très optimiste mais il
faut quand même que chacun en prenne conscience, le plus tôt possible.
C’est pour cela que je trouve important de raconter ce genre d’histoires
à des enfants.
Justement, confier le sort de la planète à deux enfants, Janet et
Jules, est-ce une façon de dire que chacun, à sa manière, peut agir pour
sauvegarder le monde ?
Bien entendu. Tout cela va de toute façon se passer du côté des enfants,
qui ne sont pas encore orthonormés comme les adultes. Je crois en
l’humanité mais il faut agir et se sentir responsable, contrairement à
nos gouvernants qui sont pour la plupart des adolescents attardés.
(sourire)
Et pourtant, vous n’êtes pas très optimiste et confiant en la nature
humaine. Même Madame Wilkins serait presque prête à se laisser soudoyer…
(sourire) Attendez, on ne sait pas si c’est du lard ou du cochon ! Vous
savez, l’humour anglais… C’est plutôt une façon de dire que c’est aux
enfants de travailler pour la planète, pas aux adultes. Mais c’est vrai,
on a le droit de douter.
Pensez-vous que la bande dessinée est un bon moyen d’aborder tous les sujets avec les enfants ?
Bien sûr. C’est un excellent moyen de parler aux enfants, tout dépend de
la façon dont on aborde les sujets. J’ai choisi de les traiter de façon
ludique, ce qui me permet de toucher vraiment à tout. L’idée est de se
mettre à la place de tout le monde, qu’un garçon se mette à la place
d’une fille et inversement, par exemple. Notre problème est qu’on est
souvent auto-centrés.
Les éditions Dargaud présentent Jules comme le « Tintin du 21e siècle ». Qu’en pensez-vous ?
C’est peut être une référence à mon style graphique… Hergé m’a appris
beaucoup de choses et a développé, je pense, mon côté humaniste depuis
tout petit. Si j’arrive à faire un dixième de ce qu’il a fait, ce sera
déjà pas mal. (sourire)
Qu’est-ce qui vous a poussé vers une carrière dans la bande dessinée plutôt que vers une carrière scientifique ?
J’ai toujours raconté mes petites histoires en dessinant sans savoir que
ça pouvait être un métier. Le jour où je l’ai compris, le choix m’a
paru évident. C’est là où je crois beaucoup en l’humanité car je n’ai
pas compris ça par moi-même. Il a fallu qu’on me dise « Fais-le ! ». Je
pense qu’on a besoin des autres pour se comprendre soi-même.
Jules a donc été le moyen idéal de concilier vos deux passions…
Oui, mais c’était plus par plaisir d’aborder les thèmes scientifiques
par un côté « transmission ». Je ne suis pas vraiment un scientifique…
Je me destinais à une carrière d’ingénieur, surtout parce que ma famille
me poussait à le faire. Ce sont plus des thèmes qui me tenaient à cœur
étant gamin que j’ai voulu aborder dans Jules, comme la relativité qui
était au centre du premier tome. Ce sont en fait des questions que je me
posais enfant et dont l’école ne m’apportait pas souvent les solutions.
J’aurais aimé lire à l’époque ce genre d’histoires qui m’auraient
permis de comprendre plus rapidement le monde et donné les armes pour
m’en sortir.
Un mot sur l’adaptation cinématographique de Maman est en Amérique…. Suivez-vous ce projet ou est-ce Jean Regnaud qui s’occupe de tout ?
C’est Jean Regnaud qui suit plus particulièrement ce projet. À ma connaissance, ils sont encore à la recherche de financements…
N’avez-vous jamais pensé à une adaptation de Jules sur petit ou grand écran ?
Je considère vraiment le cinéma comme un autre métier. Il y a autant de
différences entre un écrivain et un cinéaste qu’entre un auteur de bande
dessinée et un réalisateur de films d’animation. C’est quelque chose
qui ne m’attire pas particulièrement.
Maintenant que la fin du monde a été évoquée dans le dernier tome de Jules, avez-vous déjà des idées sur d’autres thèmes pour le prochain ?
Il y encore beaucoup de choses à dire sur l’humanité, donc les sujets ne
manquent pas, mais je n’y ai pas encore réfléchi. J’ai du mal à
travailler sur deux sujets à la fois. Et là, il faut plutôt que je pense
au prochain Spirou. J’en reviens au thème du mûrissement d’un
projet. Je ne sais pas encore ce que je vais raconter mais je sais qu’au
moment où je le ferai, ce sera nécessaire. À côté de ça, je travaille
beaucoup pour l’illustration jeunesse. Je prépare également un nouveau Ours nains.
Propos recueillis par L. Gianati
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