La lettre de Dargaud
n° 65 de mai-juin 2002
Pages 28 et 29
Rubrique: Les invités
Jules et Émile de retour !
Début
juin, après sa prépublication dans le magazine Okapi, le tome 3 des
Epatantes aventures de Jules – Presque enterrés – sera en
librairie. Comme tous les albums d’Emile Bravo, il s’agit d’un
travail remarquable de précision, d’intelligence et d’humour ;
enchanteur pour les plus jeunes comme pour les adultes. A bâtons
rompus, nous avons cherché à en savoir un peu plus sur son auteur,
le non moins épatant Emile Bravo, récent lauréat du prix René Goscinny
du meilleur scénariste.
Guy Vidal : Votre biographie, diffusée par le service de presse Dargaud, est d’une extrême pudeur… Juste deux, trois
pirouettes et quatre titres d’albums avant d’en venir à Jules… C’est une… dérobade due à quoi ?
Emile bravo :
Mais pas du tout ! Dargaud possède une fiche des renseignements
généraux me concernant mais l’attachée
de presse a dû l’égarer, aussi se contente-t-elle de diffuser un
poème autobiographique que je lui avais envoyé pour la séduire…
GV : Si on insiste ? Vous racontez quoi ?
EB : Ha, ha, ha ! Vous autres, les journalistes, vous êtes impayables ! Toujours en quête de potins… Eh bien,
soit ! Je vais vous faire un aveu : elle m’a éconduit comme un malpropre, oui…
GV : Vos trois albums, Bielo, Kino, Tamo étaient remarquables. Vous pouvez nous en parler un peu ?
EB :
Merci, je suis touché par le compliment. Aleksis Strogonov était un
jeune personnage idéaliste et naïf qui, au fil du
temps et des expériences, devait sombrer dans un pessimisme obscur
puis dans le désespoir… Mais Dargaud l’a devancé à ce sujet.
GV : Et votre scénariste, Jean Régnaud, qu’est il devenu ?
EB :
Mon ami, Jean Régnaud, lui, a choisi l’Aventure. Le jour, il est grand
reporter à la caisse d’épargne. La nuit, il
gère deux gargotes parisiennes mal fréquentées ; l’une : Le Robinet
Mélangeur est un lieu de débauche, plaque tournante de la drogue,
l’autre : La Cantine du Batofar
installée dans un vieux rafiot, sur la Seine, est une couverture qui
cache un important trafic d’armes… ’’Ca rapporte bien plus que de faire
du Mickey, crois-moi !’’ me
lance-t-il !
GV : Aleksis Strogonov n’a pas fonctionné auprès du public. Qu’avez-vous ressenti ?
EB :
Beaucoup de désarroi ! C’était incompréhensible ! Nous avions créé ce
personnage après une étude de
marché : c’était Tintin avec la casquette de Corto Maltèse, deux
grands succès ! Ca ne pouvait que marcher ! Et les histoires ?
Fantastiques ! Nous les écrivions pour
nous. Nous aurions dû fatalement trouver un public qui nous
ressemble !... Bien plus tard, nous avons constaté que nous n’achetions
jamais de bandes dessinées.
GV : Pouvez-vous – quand même !- nous dire comment vous avez débuté, quel parcours, quelles influences, en BD et en
d’autres domaines ?
EB : Woooouuuuh ! Il nous faudrait des pages ! Disons que j’ai commencé sur les marges des albums de Tintin (je
n’ai jamais été bien matérialiste…). Puis sur celles de mes cahiers… Non, attendez, tout ceci est d’une banalité !
J’ai
une meilleure anecdote : mon livret de famille est couvert de dessins !
Précoce, n’est-ce pas ? Et puis, un jour,
ma mère, qui, elle, est très matérialiste, a fini par m’acheter du
papier. Alors, je me suis mis à dessiner des histoires pour mon père (il
se donnait assez de mal, le soir, à m’en conter pour
m’endormir… Je lui devais bien ça). Puis, l’école, le lycée… Où je
distrayais mes camarades avec de petites aventures (remarquez comme je
mets l’accent sur l’histoire bien plus que sur le dessin
qui n’est qu’un vecteur… Vous me suivez ?)
Un jour, un ami me dit : ’’Emile, plus tard, tu passeras dans l’émission de Patrick Sabatier, Avis de recherche, et on se
retrouvera et on rigolera bien !’’
Ce fut
une révélation, je me découvrais ambitieux ! Alors que je m’orientais
vers une absurde carrière d’ingénieur (moi, qui n’ai
jamais su faire la différence entre un écrou de 10 et une vis de
5 !) Je pris un virage à 180 degrés pour devenir ’’ARTISTE’’ !!! Comme
je n’avais que très peu de notion de beaux arts
je me lançais dans la bande dessinée… Attention : n’allez pas croire
que je dénigre le milieu. C’est après avoir lu Pratt (Hugo) que j’ai
pris ma décision : ce type semblait avoir vécu
des aventures fantastiques. C’était une sorte de Kessel ! Moi aussi,
j’aspirais à une vie faite d’exotisme, de bravoure, de plaisir et
d’inconnu ! Bref, l’adolescence,
quoi !
Mais le
monde d’aujourd’hui ne s’y prête plus… Aussi, quand je découvris la vie
beaucoup moins dissolue d’Hergé qui ne faisait pas
moins rêver grands-parents et enfants, j’optais pour cette solution…
Et puis de toute façon, à cet âge-là, l’inconnu ; c’est le quotidien…
Mais je sens que j’ennuie le lecteur…
GV : Vos amitiés dans ce métier ?
EB :
Si je vous parle de mes proches de la bande dessinée, les gens
penseront que je me place au côté de nouvelles grandes
personnalités du métier qui le dynamisent, alors qu’il se sclérosait
lamentablement (le métier). Et ils auront raison, car ce sont mes amis
depuis des lustres et que je suis fier d’eux ! Je
veux parler de cette société appelée ’’SBG’’ (Sfar, Blain, Guibert)
et de notre incontournable produit d’importation Satrapi.
GV : L’humour, c’est quoi pour vous ?
EB : Ho ! Ho ! Sérieusement ?... L’humour, c’est, peut-être, le doute… (Ooooooooh !). Oui, ben,
méditez là-dessus, tiens.
GV : On vous dit aussi très tranché dans vos jugements sur ce qui paraît ?
EB : Oooh ! Vous, vous voulez que je vous parle de ce que je déteste en bande dessinée… Je sens comme un besoin de
lancer une polémique… Si vous comptez sur moi pour cracher sur la médiocrité, dans ce journal, vous vous fourvoyez.
Mais, si vous voulez, en privé… (Rhôôô ! Vous savez bien que ça me calme !!!)
GV :
En 1999, vous débutez la publication des épatantes aventures de Jules
avec l’Imparfait du futur dans le magazine Okapi.
Dargaud tombe amoureux du personnage et l’édite. En 2001, parution
du deuxième tome de Jules. Comment se sont passées la gestation et la
naissance de Jules ?
EB :
C’est très simple : enfant, j’étais fasciné par la notion de
relativité… Quand un adulte vous en parle avec
talent, c’est bouleversant ! Vous perdez le sens des réalités.
Rendez-vous compte ! Après vous être débarrassé de toutes ces histoires
paranormales de père Noël, de fées et de… de
marxisme, on vous explique la chose la plus abracadabrante que vous
ayez jamais entendue en vous affirmant que c’est vrai ! Depuis cette
époque, je me suis en tête de divulguer cette
information essentielle aux enfants et à leurs parents incultes !
Okapi, un journal d’information pour la jeunesse, m’en a donné
l’occasion à travers les aventures de Jules : l’humanité
avance !
GV : Fin 2001, un jury, présidé par Anne Goscinny* vous a attribué le prix René Goscinny du meilleur jeune scénariste pour la
Réplique inattendue, la deuxième aventure de Jules.
Qu’avez-vous ressenti quand vous avez appris la nouvelle ? Fier et glorieux ? Ou timide et gêné ?
EB :
Comment ? Mais, ne peut-on pas être fier et glorieux tout en restant
timide et gêné ? ier parce que
René Goscinny est Le grand homme de la bande dessinée ! Gêné parce
que c’est le seul prix bien rémunéré et que les pauvres me jalousent…
GV : Ces jours-ci paraît le nouveau Jules, Presque enterrés. Il y est question de spéléo, d’évolution de l’espèce, de
magouilles municipales… Vous nous racontez un peu ?
EB : Ben, c’est-à-dire que si je vous fais un résumé, l’attachée de presse va s’en servir pour son communiqué et comme je
suis très rancunier… Je préférerais qu’elle travaille un peu.
GV : Le mot de la fin ?
EB : De cette façon, je l’aurai…
*Composé
d’Alain Chabat, Florence Cestrac, Emmanuel Chain, Philippe Druillet,
Guillaume Durand, Nicky Fasquelle, Irène Frain et Yves
Poinot.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire