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mardi 23 mars 2010

Interview d'Emile Bravo par Guy Vidal, dans la lettre de Dargaud 2002.

La lettre de Dargaud
n° 65 de mai-juin 2002

Pages 28 et 29
 
Rubrique: Les invités
Jules et Émile de retour !
 
Début juin, après sa prépublication dans le magazine Okapi, le tome 3 des Epatantes aventures de Jules – Presque enterrés – sera en librairie. Comme tous les albums d’Emile Bravo, il s’agit d’un travail remarquable de précision, d’intelligence et d’humour ; enchanteur pour les plus jeunes comme pour les adultes. A bâtons rompus, nous avons cherché à en savoir un peu plus sur son auteur, le non moins épatant Emile Bravo, récent lauréat du prix René Goscinny du meilleur scénariste.
 
Guy Vidal : Votre biographie, diffusée par le service de presse Dargaud, est d’une extrême pudeur… Juste deux, trois pirouettes et quatre titres d’albums avant d’en venir à Jules… C’est une… dérobade due à quoi ?
Emile bravo : Mais pas du tout ! Dargaud possède une fiche des renseignements généraux me concernant mais l’attachée de presse a dû l’égarer, aussi se contente-t-elle de diffuser un poème autobiographique que je lui avais envoyé pour la séduire…
 
GV : Si on insiste ? Vous racontez quoi ?
EB : Ha, ha, ha ! Vous autres, les journalistes, vous êtes impayables ! Toujours en quête de potins… Eh bien, soit ! Je vais vous faire un aveu : elle m’a éconduit comme un malpropre, oui…
 
GV : Vos trois albums, Bielo, Kino, Tamo étaient remarquables. Vous pouvez nous en parler un peu ?
EB : Merci, je suis touché par le compliment. Aleksis Strogonov était un jeune personnage idéaliste et naïf qui, au fil du temps et des expériences, devait sombrer dans un pessimisme obscur puis dans le désespoir… Mais Dargaud l’a devancé à ce sujet.
 
GV : Et votre scénariste, Jean Régnaud, qu’est il devenu ?
EB : Mon ami, Jean Régnaud, lui, a choisi l’Aventure. Le jour, il est grand reporter à la caisse d’épargne. La nuit, il gère deux gargotes  parisiennes mal fréquentées ; l’une : Le Robinet Mélangeur est un lieu de débauche, plaque tournante de la drogue, l’autre : La Cantine du Batofar installée dans un vieux rafiot, sur la Seine, est une couverture qui cache un important trafic d’armes… ’’Ca rapporte bien plus que de faire du Mickey, crois-moi !’’ me lance-t-il !
 
GV : Aleksis Strogonov n’a pas fonctionné auprès du public. Qu’avez-vous ressenti ?
EB : Beaucoup de désarroi ! C’était incompréhensible ! Nous avions créé ce personnage après une étude de marché : c’était Tintin avec la casquette de Corto Maltèse, deux grands succès ! Ca ne pouvait que marcher ! Et les histoires ? Fantastiques ! Nous les écrivions pour nous. Nous aurions dû fatalement trouver un public qui nous ressemble !... Bien plus tard, nous avons constaté que nous n’achetions jamais de bandes dessinées.
 
GV : Pouvez-vous – quand même !- nous dire comment vous avez débuté, quel parcours, quelles influences, en BD et en d’autres domaines ?
EB : Woooouuuuh ! Il nous faudrait des pages ! Disons que j’ai commencé sur les marges des albums de Tintin (je n’ai jamais été bien matérialiste…). Puis sur celles de mes cahiers… Non, attendez, tout ceci est d’une banalité !
J’ai une meilleure anecdote : mon livret de famille est couvert de dessins ! Précoce, n’est-ce pas ? Et puis, un jour, ma mère, qui, elle, est très matérialiste, a fini par m’acheter du papier. Alors, je me suis mis à dessiner des histoires pour mon père (il se donnait assez de mal, le soir, à m’en conter pour m’endormir… Je lui devais bien ça). Puis, l’école, le lycée… Où je distrayais mes camarades avec de petites aventures (remarquez comme je mets l’accent sur l’histoire bien plus que sur le dessin qui n’est qu’un vecteur… Vous me suivez ?)
Un jour, un ami me dit : ’’Emile, plus tard, tu passeras dans l’émission de Patrick Sabatier, Avis de recherche, et on se retrouvera et on rigolera bien !’’
Ce fut une révélation, je me découvrais ambitieux ! Alors que je m’orientais vers une absurde carrière d’ingénieur (moi, qui n’ai jamais su faire la différence entre un écrou de 10 et une vis de 5 !) Je pris un virage à 180 degrés pour devenir ’’ARTISTE’’ !!! Comme je n’avais que très peu de notion de beaux arts je me lançais dans la bande dessinée… Attention : n’allez pas croire que je dénigre le milieu. C’est après avoir lu Pratt (Hugo) que j’ai pris ma décision : ce type semblait avoir vécu des aventures fantastiques. C’était une sorte de Kessel ! Moi aussi, j’aspirais à une vie faite d’exotisme, de bravoure, de plaisir et d’inconnu ! Bref, l’adolescence, quoi !
Mais le monde d’aujourd’hui ne s’y prête plus… Aussi, quand je découvris la vie beaucoup moins dissolue d’Hergé qui ne faisait pas moins rêver grands-parents et enfants, j’optais pour cette solution… Et puis de toute façon, à cet âge-là, l’inconnu ; c’est le quotidien… Mais je sens que j’ennuie le lecteur…
 
GV : Vos amitiés dans ce métier ?
EB : Si je vous parle de mes proches de la bande dessinée, les gens penseront que je me place au côté de nouvelles grandes personnalités du métier qui le dynamisent, alors qu’il se sclérosait lamentablement (le métier). Et ils auront raison, car ce sont mes amis depuis des lustres et que je suis fier d’eux ! Je veux parler de cette société appelée ’’SBG’’ (Sfar, Blain, Guibert) et de notre incontournable produit d’importation Satrapi.
 
GV : L’humour, c’est quoi pour vous ?
EB : Ho ! Ho ! Sérieusement ?... L’humour, c’est, peut-être, le doute… (Ooooooooh !). Oui, ben, méditez là-dessus, tiens.
 
GV : On vous dit aussi très tranché dans vos jugements sur ce qui paraît ?
EB : Oooh ! Vous, vous voulez que je vous parle de ce que je déteste en bande dessinée… Je sens comme un besoin de lancer une polémique… Si vous comptez sur moi pour cracher sur la médiocrité, dans ce journal, vous vous fourvoyez.
Mais, si vous voulez, en privé… (Rhôôô ! Vous savez bien que ça me calme !!!)
 
GV : En 1999, vous débutez la publication des épatantes aventures de Jules avec l’Imparfait du futur dans le magazine Okapi. Dargaud tombe amoureux du personnage et l’édite. En 2001, parution du deuxième tome de Jules. Comment se sont passées la gestation et la naissance de Jules ?
EB : C’est très simple : enfant, j’étais fasciné par la notion de relativité… Quand un adulte vous en parle avec talent, c’est bouleversant ! Vous perdez le sens des réalités. Rendez-vous compte ! Après vous être débarrassé de toutes ces histoires paranormales de père Noël, de fées et de… de marxisme, on vous explique la chose la plus abracadabrante que vous ayez jamais entendue en vous affirmant que c’est vrai ! Depuis cette époque, je me suis en tête de divulguer cette information essentielle aux enfants et à leurs parents incultes ! Okapi, un journal d’information pour la jeunesse, m’en a donné l’occasion à travers les aventures de Jules : l’humanité avance !
 
GV : Fin 2001, un jury, présidé par Anne Goscinny* vous a attribué le prix René Goscinny du meilleur jeune scénariste pour la Réplique inattendue, la deuxième aventure de Jules.
Qu’avez-vous ressenti quand vous avez appris la nouvelle ? Fier et glorieux ? Ou timide et gêné ?
EB : Comment ? Mais, ne peut-on pas  être fier et glorieux tout en restant timide et gêné ? ier parce que René Goscinny est Le grand homme de la bande dessinée ! Gêné parce que c’est le seul prix bien rémunéré et que les pauvres me jalousent…
 
GV : Ces jours-ci paraît le nouveau Jules, Presque enterrés. Il y est question de spéléo, d’évolution de l’espèce, de magouilles municipales… Vous nous racontez un peu ?
EB : Ben, c’est-à-dire que si je vous fais un résumé, l’attachée de presse va s’en servir pour son communiqué et comme je suis très rancunier… Je préférerais qu’elle travaille un peu.
 
GV : Le mot de la fin ?
EB : De cette façon, je l’aurai…
 
*Composé d’Alain Chabat, Florence Cestrac, Emmanuel Chain, Philippe Druillet, Guillaume Durand, Nicky Fasquelle, Irène Frain et Yves Poinot.

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