"Les éditions Dupuis m'ont contacté. J'avais une totale carte blanche, aucune charte graphique imposée. J'avais lu Spirou, je suis un grand fan de Franquin, j'ai donc accepté". A entendre, Emile Bravo, l'auteur du magnifique Journal d'un ingénu, dans lequel il invente une jeunesse au célèbre groom, tout paraît évident, simple et fluide. "La
seule solution, c'était de faire l'avant-Franquin, pour ne pas le
trahir, de répondre aux questions que l'on se pose enfant. Comment un
groom devient aventure? Pourquoi garde-t-il son costume? Comment est née
son amitié avec Fantasio? Je suis cartésien et, gamin, il fallait que
tout s'explique. Bon, Milou qui parle, c'est un chien, je peux
comprendre. Un rongeur comme Spip l'écureuil, en revanche, je ne savais
pas d'où venait cette conscience?"
Le début de
la Seconde guerre mondiale était un terrain propice pour donner les
clés à la création d'un personnage devenu mythique. Le sujet passionne
Emile Bravo, qui avait déjà abordé la période dans C'était la Guerre Mondiale,
aux éditions Bréal. Mêmes les références à Tintin, clins d'?il
savoureux dans l'album, s'inscrivent dans la logique interne du récit. "Pour
moi, Spirou est réel, Tintin est un personnage de bande-dessinée. Comme
il est orphelin, il s'identifie au héros de ses lectures, jusqu'à
prendre ses vêtements inconsciemment". La pirouette finale est,
quant à elle, une double métaphore sur l'ouverture au monde, thème qui
colle aux histoires d'Emile Bravo.
"La bande-dessinée est une calligraphie"
Après
le succès critique et public rencontré par cette première immersion
dans l'univers de Spirou, stoppée à l'orée du second conflit mondial,
Bravo le pédagogue ne compte pas s'arrêter en si bon chemin. Il
ambitionne désormais de faire traverser la plus sombre tragédie du XXe
siècle à ses héros. "C'est une période qui m'intéresse beaucoup, mon
héros a pris conscience, maintenant il doit agir. On n'a pas tous été
résistant sous l'Occupation, on avait peur. C'est intéressant de montrer
ça à des enfants. C'est une comédie dramatique, rien de tel que pour
montrer des idées", explique-t-il. Il a un atout dans sa manche, le personnage de Fantasio, un "Zazou excentrique",
sous le trait de Franquin, qui se permet tout et n'importe quoi.
Jamais, en revanche, il ne reprendra le fil d'une série, par respect
pour les auteurs du passé. Adepte de la ligne claire, Emile Bravo adapte
l'adage d'Alfred Hitchcock à la bande-dessinée. "Ce qui est important, c'est l'histoire", soutient-t-il. "La
bande-dessinée est une calligraphie. Il est important que le dessin
reste lisible pour ne pas nuire à la compréhension. Plus les codes sont
simples, plus ils sont compréhensibles."
Pour
lui, il ne doit pas y avoir de frontières, de séparation marquée entre
la littérature enfantine et celle destinée aux adultes. "Lire une BD
peut être une expérience partagée, avec l'enfant sur les genoux de son
père. Le dessin est une écriture universelle, on n'a presque pas besoin
de savoir lire les bulles", explique un auteur révolté par la
tendance actuelle des produits standardisés pour ados attardés. Et Emile
Bravo de citer deux ?uvres qui ont justement réussi à concilier une
forme accessible à un vrai fond, Maus d'Art Spiegelman, sur la Shoah, et Persepolis
de Marjane Satrapi, récit sur la dictature iranienne qui touche aussi
bien les enfants que les parents. Il aurait pu facilement ajouter son Journal d'un Ingénu,
une aventure de Spirou qui évoque la montée du nazisme en Europe, sans
jamais oublier le plaisir de la lecture. Du grand art et un seul mot.
Bravo.
Spirou: Le Journal d'un ingénu d'Emile Bravo, Dupuis
Rédaction JDD Samedi 31 Janvier 2009
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