mercredi 18 novembre 2009

Spirou, l'aventure, la guerre, l'amour... chez Spirou et Fantasio.com

Source Spirou et Fantasio.com

Qu'est-ce qui pousse un auteur de bande dessinée à se lancer dans l'aventure d'un "one-shot" de Spirou ? La gloire d'apporter sa petite pierre à l'édification d'une série mythique ? Ou d'autres motivations, moins évidentes, plus personnelles, auxquelles on ne pense pas tout de suite ? Émile Bravo nous raconte comment s'est passée pour lui cette belle aventure.


La genèse du projet
C'est Fabrice Tarrin qui est le premier à m'avoir parlé du concept des one-shot de "Spirou".
Il est venu me voir pour me proposer de lui écrire un scénario.
Mais cet idolâtre ne jurait que par les années 60 alors que, pour moi, le plus intéressant était de raconter la jeunesse du héros. À sa création par Rob-Vel, Spirou est un personnage assez lisse et insignifiant. Et même si, par la suite, Franquin a étoffé sa personnalité en lui donnant une dimension humaniste, il lui manque toujours une véritable psychologie.
Je trouvais amusant de montrer qu'un personnage de BD sans grande individualité puisse prendre une part majeure dans les événements dramatiques qui ont précédé et annoncé la Seconde Guerre mondiale. Expliquant ainsi pourquoi, par la suite, il ne se plongera que dans des aventures légères en évitant de se mêler de politique et autres sujets graves.
Le contexte historique (la fin des années 30) et géographique (la Belgique) me semblait également idéal pour glisser une réflexion sur l'identité nationale, concept qui m'échappe totalement, et rappeler que la neutralité d'un pays ne l'empêche jamais d'être envahi.
Ensuite, j'ai laissé l'idée mûrir pendant deux ans, je me suis documenté pour coller au plus près de la vérité historique et, un jour, tous les éléments ont trouvé leur place logique dans ma tête ; j'ai écrit l'histoire en trois mois et je l'ai dessinée en quatre.

Découvrir Le grand secret de Spirou
Spirou a été créé par Rob-Vel en 1938 et n'a été repris par Franquin qu'une dizaine d'années plus tard. Or les albums de "Spirou et Fantasio" édités chez Dupuis ne commencent qu'avec les aventures réalisées par Franquin. Je me suis donc demandé pourquoi cette décennie, quasi inconnue du grand public, a été occultée. En même temps, pendant ces années, Spirou qui était, à l'origine, un simple groom (c'est-à-dire un larbin qui ouvre les portes aux clients d'un hôtel !) est devenu un aventurier intrépide qui court le monde.
Évidemment, durant cette période, il s'est tout de même passé un événement majeur qui a traumatisé l'Humanité toute entière : la Seconde Guerre mondiale. Je me suis donc demandé dans quelle mesure ce traumatisme a touché ce gamin bruxellois (aux premières loges, donc, pour assister au début du conflit) et l'a fait évoluer pour devenir le héros que nous connaissons tous.

Mes nombreuses questions d'enfant
Outre la question de la métamorphose de Spirou, je m'interrogeais sur d'autres points : "Pourquoi Spirou porte-t-il toujours un uniforme de groom sans jamais en exercer le métier?", "A-t-il été amoureux?", "A-t-il une conscience politique?", "D'où vient son amitié indéfectible avec Fantasio?", "Et qui est ce Fantasio?", "Et Spip, qui est-il?  Pense-t-il?". J'avais envie de donner une réponse à tous ces mystères. Y ai-je réussi? À vous, amis lecteurs, de me le dire...

Nous sommes tous des enfants de la guerre...
Un jour, mon père m'a dit une chose terrible : sans Hitler et Mussolini, je n'existerais pas. Croyez-moi, c'est un choc ! En m'expliquant que, sans l'aide des Allemands et des Italiens, Franco n'aurait sans doute pas vaincu les Républicains. Il   n'aurait donc jamais fui l'Espagne et logiquement, jamais rencontré ma mère en France...
Comme je vous le disais, c'est le genre d'affirmation qui marque. Traumatisé, je me suis passionné pour cette période de l'histoire, essayant de comprendre pourquoi l'inhumanité m'avait engendré. Je me suis ainsi rendu compte que c'était le cas poure la plupart des gens. En tant qu'être humain, même si on pense subir l'Histoire, on en fait partie, on influe sur elle.
De même, "mes" Spirou et Fantasio tenteront de se tenir à l'écart d'événements qui finiront par les rattraper... Car, qu'on se le dise, un groom, en apparence, personnage insignifiant et servile, fait partie de l'Humanité !!! Et, à ce titre, peut influer sur le destin des hommes.


Les motivations dans mes autres BD

Je pense que le message que j'essaie de faire passer dans "Jules", ma série chez Dargaud, n'est pas très différent. Seule la toile de fond change : dans Spirou, elle est historique, alors que dans "Jules", elle est scientifique... Les sciences avec ses potentialités et ses dérives.
J'essaie de titiller l'intelligence des enfants, de les responsabiliser, de leur faire comprendre que chaque être humain fait partie d'un tout et de les rendre acteur de ce tout. Je crois m'adresser avant tout aux enfants plus perméables à ce genre de discours pour qu'ils tentent d'éduquer leurs parents qui sont souvent trop formatés, trop passifs, des consommateurs souvent irrécupérables... Ha ! Ha !

La bande dessinée "Tous Publics"
C'est celle que je préfère ! Celle qui s'adresse aussi bien aux enfants qu'aux adultes. Celle, avec plusieurs niveaux de lecture, qui se partage en famille, qui engendre des débats... Elle est fédératrice car elle induit la complicité entre générations !   Dans sa conception, l'auteur doit puiser dans son âme d'enfant pour parler au gamin qu'il était : l'enfant questionne et l'adulte s'efforce de répondre... Mais, attention, sans jamais faire de morale !!! C'est un exercice extrêmement sain qui évite de se prendre au sérieux.
L'écriture graphique
Notre premier mode d'expression, bien avant l'écriture, c'est le dessin. D'ailleurs, toutes les écritures sont, à la base, des dessins qui se sont simplifiés et codifiés. Bref, tout petit, je me suis rendu compte que je pouvais raconter des histoires juste en dessinant... Par la suite, quand on m'a inculqué l'écriture, je l'ai adjointe à mes histoires. Je veux dire par là que la bande dessinée est une forme d'écriture graphique, une écriture complète. À partir de là, rédiger un paragraphe ou dessiner une case, c'est exactement la même chose, vous me suivez ?   Voyez les gens qui dénigrent la bande dessinée, ce sont souvent ceux qui ne connaissent   pas les codes graphiques : des analphabètes du dessin ! Il doit y avoir un mot pour ça ; "agraphique" ? Mais "graphique" veut dire écriture en grec... Ce qui confirme ma théorie ! Quoi qu'il en soit, il faudrait sérieusement réhabiliter le dessin dans les écoles afin de faire comprendre la richesse de ce mode d'expression essentiel à une culture civilisée...

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